\^''^'T',,,qp V. NOTES *P' 1 POUR SERVIR A SON HISTOIRE PAR Achille MUNIER DEUXIEME EDITION MONTPELLIER C. COULET, LIBRAIRE-ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE l'académie DBS SCIENCES ET LETTRES ET DE LA SOCIÉT É DES BIBLIOPHILES LANGUEDOCIENS Grand'Rue, 5 PARIS E. DENTU, LIBRAIRE-ÉDITEUR rALAIS-KOYAL, 17 ET 19, GALERIE D'ORLÉANS 1874 NOTES SUR FRONTIGNAN POUR SERVIK A SON HISTOIRE NOTES i POUK SERVIR A SON HISTOIRE Achille MUNIER DEUXIEME EDITION MONTPELLIER C. COULET, LIBRAIRE-ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA FACULTÉ DE MEDECINE DK l'académie DES SCIENCES ET LETTRES ET DE LA SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES LANGUEDOCIENS Grand'Rue, 5 PARIS E. DENTU, LIBRAIRE-ÉDITEUR PAi.Ais-i;oYAL, 17 i^rr 19, galerie d'ohi.kans 1874 9S 1205417 s •O-O A NOS CONCITOYENS Messieurs. Ainsi que l'homme, les cités et les empires nais-ent, ixran- dissent, périclitent et meurent ! Réserves faites de l'avenir, qui est à Dieu, il y a lonutemps pom' nous que Fronlignan a touché le sommet de sa gloire , et le moment nous a semblé venu de recueillir pieusement l'exemple des anciens pour le placer sous les yeux des nouveaux. Le projet, caressé par nous, d'écrire un jour l'histoire d'un pays devenu le nôtre, avait mis dans nos mains des documents que nous avions, non sans labeur, copiés et traduits : une circon- stance indépendante de notre volonté nous avait fait ajourner la continuation de notre œuvre, quand la publication du Mémoire de M. l'ingénieur en chef Régy, sur l'Amélioi^ation du liltoral , nous montra la possibilité de vous être encore utile, en réfutant les erreurs que cette publication contient, tant à l'endroit de notre cité que des rivages qui lui ont appartenu jadis. Nous n'avons pris des nombreux documents qui sont en nos mains (réservant les autres pour plus tard) que ceux qui, de près ou de loin , se rattachent aux questions soulevées par le Mémoire ; nous en avons tiré des arguments qui nous paraissent irréfutables, et destinés à servir vos intérêts. Tel est ce livre. Ces pages , conçues dans l'atmosphère calme où naissent et se développent les bonnes choses, vous sont présentées par un ami ; nous nous sommes efforcé de les faire saine? et viriles. A vous de juger l'œuvre et l'artisan. A. McxiER. INTRODUCTION Le chasseur alerte qui poursuit, sur les plateaux de la Gardèole, la perdrix rouge, s'arrête parfois en extase devant le tableau qui se déroule à ses pieds. En face, et comme s'élevant au niveau des hau- teurs où il se trouve, la mer, sillonnée de voiles blanches, ou qu'un vapeur parcourt, chassant devant sa proue un bourrelet d'argent sur les flots bleus; à droite , le Canigou lointain , qui fait briller au soleil sa cime neigeuse ; puis Agde , Cette , et à ses pieds Frontignan. A gauche. Vie, Mire val, Villeneuve, l'antique Maguelonne , assise comme une femme en deuil au milieu des eaux ; plus loin , par un ciel pur , les blanches murailles d'Aiguesmortes , et , plus loin encore , les derniers plis des Alpines qui se baignent à la mer et cachent le grand comptoir méridional de la France, Marseille. Les yeux, fatigués de ce panorama gigantesque, se reportent sur des horizons moins éloignés; on distingue alors un immense tapis de verdure se dé- roulant en pente douce : ce sont les vignes ; la végé- tation passse ensuite à des tons rougeàtres , parsemés de flaques brillantes : ce sont les marais ; puis de grandes nappes d'eau s'étendent, coupées de digues et de canaux: ce sont les étangs; puis enfin, entre ces étangs et la mer, un long ruban dentelé qui, ployant sa courbe sous l'effort de la vague, relie Aiguesmortes à Palavas, Palavas à Maguelonne, Maguelonne à Cette et Cette à Agde : c'est la plage. Chacun de ces terrains , comme ces eatix , a eu son histoire , histoire qui participe du passé brillant de la cité qui les a possédés , et que nous nous sommes efforcé de mettre en lumière. Ce travail, pour être clair, sera divisé en deux parties: la première. Plage, Etangs, Marais, con- sacrée aux documents relatifs à leur passé; la se- conde, réservée à la controverse du présent et aux appréciations que notre loyauté nous fait un devoir (le vous communiqtier , pour préserver l'avenir. LES PLAGES LES ÉTANGS ET LES MARAIS Comment et à quelle époque se sont formés plages, étangs et marais, nous nous donnerons bien de garde de vous le dire, par la raison fort simple que nous l'ignorons; ce que nous savons et ce qui est certain, n'en déplaise à M. Régy, c'est que plages, étangs et marais existent depuis longtemps, et que depuis ce temps ils ont été la propriété de Fron- tignan. Les titres glorieux pour vos pères que nous allons parcourir ne laissent aucun doute à ce sujet. Dès le jour de la fondation de Frontignan, probablement après la ruine de Maguelonne par Charles Martel et vers 800, les habitants envoyèrent leurs troupeaux paitre au bord delà mer et des étangs, et ses pêcheurs firent à la plage des baraques de roseaux pour s'y abriter, eux et leurs filets. C'était leur droit naturel. - 10 - ils en usaient. Arrive la féodalité, avec son prin- cipe que la terre appartient aux nobles, et que le roturier n'a droit qu'à la cultiver moyennant rede- vance à son seigneur. La plage, à cette époque, appartient à l'évêque de Maguelonne, qui impose des redevances aux patres et aux pêcheurs ; ceux-ci font mine de résistance, puis enfin s'inclinent devant la hallebarde des sergents du rèvérendissime. Mais arrive un troisième larron, le corsaire, qui lui aussi veut sa part du butin, rançonnant pâtres et pêcheurs, et les enlevant au besoin, eux, leurs troupeaux et leurs filets. Alors l'industrie et l'activité des Fronti- tignanais s'éloigne de ces parages inhospitaliers, où ce qui échappe à la censive du seigneur évêque devient la proie des pirates, larrons, barbaresques, le fléau de nos côtes au moyen âge. Un procès fort curieux, dont vous lirez plus loin l'histoire, vous dira les péripéties passées de la plage et des étangs. La Révolution de 1792 rendit à Fron- tignan la pleine et entière possession de la plage ; mais 1814 la lui enleva. La plage, vendue avec les autres biens communaux, fut achetée par M. La- pierre, alorsmaireyqm la céda à M. Rattier, vicomte de la Peyrade. Celui-ci la vendit à la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée, qui en est actuellement propriétaire et la loue comme chasse et pâturages. Voici l'analyse succincte des titres que nous pro- duisons : — 11 - N° 1 (1200) De Gaucellin , abbè d' Aniane , vend à Guilhem , seigneur de Montpellier, la moitié des biens que possède l'abbaye sur la mer, l'étang, la terre, la ville et les habitants de Frontignan. (12 mars 1225) Traité de commerce et de mutuelle protection entre Guillaume Raimond et Pierre Fabrices , seigneurs de Frontignan , et les consuls de Montpellier. N" 3 (1335 et 1342) Lettres patentes du roi de France Philippe VI, rendues sur la demande des consuls de Frontignan, lors du voyage de ce monarque à Montpellier, inter- disant la pêche avec filet fermé, nommé tartane, depuis la fête de Pâques jusqu'à la Toussaint, et l'autorisant de la Toussaint à Pâques. N° 4 (24 janvier 131)2) Pierre de Sallèle, bourgeois de Montpellier, étant châtelain et bayle de Frontignan , on construit les murailles et les fossés du côté de l'étang par où a pénétré l'ennemi qui s'est emparé de la place. ~ 12 - N" 5 (1390 et 1391) Lettres patentes du roi Charles VI, autorisant la commune de Frontignan à installer un marché par semaine, pour la dédommager des mauvais traite- ments que lui a fait supporter l'Anglais Seguin de Badefol. N" 6 (1394) Sentence prononcée par Philippe de Brueris , gou- verneur de la ville et baronnie de Montpellier et d'Homelas, au sujet delà muraille des Aresquiers, disputée par le procureur du roi et les consuls de Frontignan au chapitre de Maguelonne. N" 7 (1411) Lettres patentes de Charles VI, autorisant la com-* m une à vendre un tourn de sel et à en affecter le produit à la réparation des murailles, de crainte, à Dieu ne plaise, que la ville ne tombe aux mains de l'ennemi. N° 8 (1467; Le roi Louis XI autorise les habitants à louer et à affermer les herbages de la plage , en confirmation des droits de leurs aïeux, à la condition que lepro- — 13 — duit de ces fermages sera employé à la réparation des murailles et de l'église de Fron^ignan. (1539) Sentence rendue par Monseigneur Jehan Godel, lieutenant général du roy , qui interpit au gardien du port de Frontignan de percevoir aucuns droits d'entrée sur les blés destinés à la consommation des habitants . N" 10 (1540) Décision de M. Trinquaire, juge-mage de Mont- pellier, restituant aux consuls et habitants les plages, ainsi que la chasse et la pêche j, qui leur apparte- naient, et dont voulait les frustrer M. Jean Gaillard, seigneur par acquisition. N° 11 11682) Transaction entre les consuls de Frontignan et révêque de Montpellier , où sont relatés les marchés antérieurs entre les consuls et l'évêque de Mague- lonne, à savoir: aux ides d'août 1301 et le 14 juillet 1450, au sujet de la ferme des herbages de la plage et du droit concédé aux pêcheurs de Frontignan d'y porter- des armes et d'y bâtir des cabanes. 2 - 14 — N" 12 (1791) Mémoire par les maire , consuls et habitants de la ville de Frontignan , contre le syndic des religieux bénédictins de l'abbaye d'Aniane et contre l'admi- nistrateur général des domaines , par M. de Chante- senne , avocat aux conseils du roi. N" 13 Extraits divers du premier registre des délibéra- tions, conservé dans les archives de la commune de Frontignan. N° 14 (29 février 1864) Délibération du conseil municipal de Frontignan relative au chemin de la plage. — 15 — N" 1 Au nom du Soigneur, l'an de son incarnation mille deux cents, et le quatorzième des calendes de juillet , de Gaucellin, par la grâce de Dieu abbè d'Aniane, avec le conseil et consentement du dict chaspître d'Aniane, d'autant qua cauze des guerres et plu- sieurs autres inconvénients en l'entrée de nostre dicte abbaye, nous avons tenue véritable nostre monas- tère grandement grevé de beaucoup de debtes à in- thérest d'iceux , en sorte que la meilleure partye de nos fruitz s'y fondoint, a cette cauze , a titre de nou- veau fief, nous donnons à toi , Guilhem, seigneur de Montpellier , fils de feu Mathilde , duchesse , et à tes successeurs, seigneurs de Montpellier, savoir l'en- tière moityé de tout le pontage de la mer et estang et de la terre et et de lisle Vachrie, e* des bois et chasse et toute autre obvention , conseil , seigneur Lauzismes et albergues , distroies satisdaon- ordinaire, finances, justices, expleches, et de tout autre droit ordinaire et extraordinaire que nostre monastère d'Aniane ou autre a son nom a heu pos- sédé en l'estang de la mer et maniguières, soit en usaiges ou ou en soldats ou hommes ou femmes, en toute la dismerie de Frontignan , savoir en la mer — 16 - et l'estang et cousse et terre , et lisle Vachrie et fo- rets et chasse , et en Hous les autres lieux et adia- tentres de la dicte paroisse de Frontignan , espécialle- ment pour indivis la moityé de toute la treizième partye de toutes les obventions et rentes de quatre maniguieres : lune des quelles est apellée clariere ma- niguiere Guillielmy puga , et lautre la Croze du Ba- roy ; la troisième , des Calmets ; la quatriesme , la maniguiere de Rizondie , tille de feu Pierre de Saint- Estienne; et la moityé de la maniguiere de Saint- Sauveur, et la moityé de demy part de la mani- guiere Petit , et la quatriesme partye du get du Chat et la moitié du pour indivis de tous les droitz et uzaiges de toutes les autres maniguieres dites 'les premières quy apartiennent a ceux de Frontignan, tout ainsin quapartient a notre monastère, et la moityé de toute la domination et droit sur bout de lestang et revenus dicelluy quy sestant despuis la riere maniguiere jusques a la font de Sete ; et la moi- tyé pour indivis de toute la mer a revenues de la dicte mer qui sestant despuis la maniguiere de Pierre Ramond jusques ausdicts rochers de Cete ; et guale- ment donnons la moityé de tous nos droitz ez mer, estang , avec condition que la part que nous donnons a nouvel achept à toi Guilhem , seigneur de Montpel- lier, à tes successeurs , demeurera tousj ours indivizé avec nostre part , et personne de nous ne pourra apel- 1er son compaignon pour laffaire divizer , mais elles demeureront à perpétuité indivizes, et les revenues — 17 — d'icelles seront partagées esgallement; et pour lentrée du dict nouvel achaipt, vous nous avez donné quatre mille sols melguiorejens, et toutes les années, a la Nativité de Nostre Seigneur , vous nous donneres , à nostre monastère, pour le dict bail a nouvel achept, trente mujols et de quatre sortes, lesquels annuelle- ment vous nous apporteres au dict Aniane , a nos despans et périls pour l'uzaige, et outre ce, vous et vos succersseurs, seigneurs de Montpellier, vous nous faires homage, et a nos successeurs, de fidellité. Se signé : Guilhem Raymond, notaire de Montpel- lier. Tiré de la pancarde des arcliifs du monastère Saint-Sauveur Daniane, et du fuillet nouante hui- tiesme. — 18 — N" 2 In nomine Domini. Ego Willelmus Raiinundi de Frontiniano, et ego Petrus de Fabricis, domini caslri de Frontiniano, nos ambo per nos et per omnes successores nostros, promittimus et convenimus vobis, dominis consulibus Montispessulani, stipulantibus, quod nos semper sol- vabimus et custodiemus omnes habitatores Montis- pessulani, et reseorum, et omnes venientes ad Mon- tempessulanum et recedentes a Montepessulano , per totum posse nostrum, in mari, in stagne et terra, et eos defendemus cunctis nostris viribus, scientes et vere cognoscentes nos in hoc vobis teneri et cunctis hominibus Montispessulani pro comunitate ejusdem. Preterea promittimus et convenimus vobis, nos ha- bere et servare pacem integram cum omnibus illis cum quibus vos pacem habetis vel habebitis, et spe- cialiter cum Januensibus et Pisanis et illis de Nissa et de Eiris et de Tholono et aliis locis cum quibus pacem fecistis vel facietis, ita quod omnes praedictos et sin- gulos, et res eorum semper, servabimus et defende- mus ab omni dampno et gravamine per totum posse nostrum ; et non substinebimus quod aliquis nostrum vel nostrorum aliquod dampnum vel gravamen eis — 19 — inférât, mpersonis vel rébus eorum; etomnes illos et res eorum in nostra securitate et protectione reci- pimus. Item, promittimus vobis quod ad comonitio- nem vestram et successorum vestrorum , paces et conventiones cum praedictis civitatibus et locis factas, et etiam que a vobis vel successoribus fient, jurari et servari faciemus ab hominibus de Frontiniano et a successoribus nostris. Et bec omnia promittimus vobis servare et complere, per hec Sancta Dei Evan- gelia a nobis tacta , obligantes inde vobis omnia bona nostra , et specialiter dictum castrum de Frontiniano et quidquid juris in eo habemus. Et praedicta omnia et specialiter dictam obligationem laudari faciemus, ad cognitionem et comonitionem vestram , ab uxori- bus nostris. Et nos, consules Montispessulani , volumus et con- cedimus vos predictos Willelmum Raimundi et Pe- trum de Fabricis esse in pace cum omnibus illis cum quibus pacem habemus vel habebimus. •. Acta fuerunt et laudata, anno Dominice Incarna- tionis M" CC XX" V", XIP kalendas marcii, in pre- sentia et testimonia Johannio Bocados , Raimundi de Conchis, Bernardi Sarreii, Pétri Talon, Willelmi Bidocii, Willelmi Cordoanerii, Johannis Ademari, Bertrandi de Venranicis , Willelmi de Brom , Michae- lisdeMoresio, jurisperiti, et Pétris de Furno, domi- norum consulum notarii , qui rogatus hpec scripsit. — 20 TRADUCTION Au nom du Seigneur , Moi , Guillaume-Raimond de Frontignan , et moi , Pierre de Fabrices , seigneurs du château de Fron-» lignan , nous deux pour nous et tous nos successeurs , nous convenons avec vous et vous promettons en traitant avec vous, seigneurs consuls de Montpellier, que toujours nous protégerons et garderons tous les habitants de Montpellier et leurs biens , et tous ceux qui se rendront à Montpellier ou qui en reviendront, et ce de tout notre pouvoir, en mer, comme en l'étang et sur terre , et nous les défendrons de toutes nos forces, sachant et reconnaissant tenir de vous et de tous ceux de Montpellier que nous rendrez la ré- ciproque. De plus nous convenons avec vous et pro- mettons d'avoir et de conserver paix entière avec ceux qui sont ou qui seront en paix avec vous , et particulièrement avec les Génois et les Pisans, et ceux de Nice , de Hyères et de Toulon , et tous autres avec lesquels vous êtes ou serez en paix , et de tout notre pouvoir nous les défendrons eux et leurs biens de tout mal et de tout embarras , et ne soutiendrons point celui de nous ou des nôtres qui aura pu leur causer mal ou dommage . tant en letir personne qu'en leurs biens, personnes et biens que nous prenons sous notre sauvegarde et protection. Nous promettons aussi, pour votre sécurité et celle ^ — 21 — de vos descendants, que nous ferons jurer et obser ver par ceux de Frontignan et par nos successeurs d'observer la paix et les conventions faites avec les cités susnommées, et même celles que vous ou vos successeurs pourrez faire avec d'autres cités. Et par les Saints Evangiles de Dieu , sur lesquels nons étendons la main , nous vous jurons de bien et fidèlement remplir ces conventions j vous donnant en gage tous nOs biens , et spécialement le château de Frontignan et tous les droits que nous avons en ice- lui. Et à votre connaissance et pour votre sécurité, nous ferons approuver par nos épouses tout ce que dessus, et spécialement l'obligation dont s'agit. Et nous , consuls de Montpellier , nous voulons et vous concédons à vous, Guillaume- Raimond et Pierre Fabrices , que soyez en paix avec tous ceux qui sont ou qui seront en paix avec nous. Fait et approuvé l'an de l'incarnation du Seigneur 1225 et le douze des calendes de mars, en présence et témoignage des jurisprud'hommes : Jean Bocados, Raimond de Conches, Bernard Sarret, Pierre Ta- lon , Guillaume Bidoce , Guillaume de Cordoue , Jean Ademar, Bertrand de Venranice, Guillaume de Brom, Michel de Moresie, et moi Pierre de Furno, notaire des seigneurs consuls, qui sur requête ai dressé cet acte. — 22 — N°3 Anno Dominice Incarnationis millesimo trescente- simo quadragesimo secundo et quarta décima die mensis maii. domino Philippo, Dei gratia Francorum rege, régnante. Cunctis presentibus et futuris mani- festum existit de existentes : in curia Frontiniani do- mini nostri Régis, et coram venerabili et discreto viro domino Budo Cabrespini , jure perito clerico regio et judice dicte curie pro domino nostro Rege Fran- corum ; videlicet Petrus Stephani. Petrus Pascalis et Raymundus Figuarede , consules Frontiniani , exhi- buerunt et presentarunt ibidem coram dicto domino judice quasdam patentes literas nobilis et potentis vir domini Senescalli Bellicardi et Nemausi, et cu- jus sigillo a tergo sigillatas seu ejus ante ut prima facie apparebat, quibus et présentes et fuerunt et etiam registrate in curas Frontiniani et Aquarum- Mortuarum , ibidem dictum fuit de etiam mandatum regium seu ordinato in eisdem literis contenta , exse- cuta et preconisata, inde facta in loco Aquarum-Mor- tuarum exequendo mandatu regium et dicti domini Senescalli , prout insupra scriptore dictarum littera- rum legebatur. Quas litteras et supra scriptoris eorum ténor sequitur, in hec verbi. Johannes de — 23 — Pria, miles domini nostri Francorum Régis, senes- callis Bellicardi et Nemausi, rectori regio Mon- tispessulani et vicario Aquarum-Mortuarum , et ipse justiciarius dictfe senescallie , ad quos présentes litere provenerint et eorum cuilibet vel eos locumtenentes, salutem. Dudum quasdam literas regias nos récé- pissé novitis sub hiis verbis. — Pbilippus, Dei gratia Francorum rex, Senescallo Bellicardi et Nemausi, vel ejus locumtenenti , salutem. Requesta civilem uni- versitatis seu comunitatis hominum loci de Fronti- niano, maris curie nostre traditam, mittentes subnos- tro contra-sigillo inclusam. Mandamus vobis quatenus informâtes débita pré- cédente nostro nomine provideatis in depuitati dic- torum supplicantium et aliorum de quibus fit mente in dicta requesta. Et provisionem quam super hoc fecitis observare faciatis, ut fuit rationis. Datum in Montepessulano , sexta décima die februarii anno Do- mini millésime trescentesimo tricesimo quinte. Sane quia visa informatione super contentis in dictis literis et supplicatione de mandate nostro , seu nostri locumtenenti, cum fide signis et in talibus exeptis diligens , et débite facta et deliberatione cum judice nostro majore et aliis officialibus regiis sene- scallie habita , diligenti invenerimus non solum dictis supplicantibus , sec etiam aliis regnicolis et rei pu- blicse , istarum petentium pro maxime esse dampno- sum piscare in mare cum rete cesura, seu instru- ment© dicto seu nominato vulgariter tartana^ a festa - 24 — Pasche usque ad festum Omnium Sanctorum , quod que piscare in ipso mari cum dicto rete cesura, seu instrumente , a dicto festo Omnium Sanctorum usque ad dictum festum Paschse non esse dampnosum. Sec potius utile dictis supplicantibus et aliis regnicolis et rei publicae harum petentium , de concilie dicti nos- tri majoris judicio et aliarum officialium seu consi- liariorum regiorum et nostrorum , super hoc provide- tur. Volentes, juxta dictarum litterarum regiarum continenciam et tenorem, ordinaverunt quod, a dicto festo Pasce usque ad dictum festum Omnium Sanc torum, alicui non liceat cum dicto instinimento piscat in dicto mari , seu in aliqua ejus présente infra dic- tam senescalliam ; et quod, a dicto festo Omnium Sanctorum usque ad dictum festum Pasche, possint et liceat piscatur inpune in dicto mari cum pre- dicto instrumente. Igitur vobis et vestrum quilibet precipimus et mandamus quatinus dictam ordinatio- nem nostram auctoritate regia faciatis de puncto in punctum , inviolabiliter observatur ac preconisatur , ne quis contra facere présumât sub pena viginti quinque librarum turonenses ; et tractare hujus- modi admittende comitenda et applicanda domino nostro Rege. Datum Alesci, die prima junii anno Do- mini millésime trescentesimo tercesimo septimo , red- ditae litteras sigillatas. Per consilium Lunesii supra- scripto vero dictarum literarum talis est. Registrate in cartulario curise Aquarum-Mortuarum et facta pre- comstato. Omnibus lileris presentatis dicti consul es - 25 — Frontiniani ipse et universitate dicti loci de Fronti- niano , et pro aliis quorum interest seu interesse po- test, petierunt, fieri et adempleri que in dictis litteris continentur, petentes de predictis sibi fieri publicum instrumentum . .... Et dictus dominus judex (prefa- tum ) se obtulit facere et adimplere que in dictis lite- ris continentur, et etiam preconisato de servando contenta in dictis litteris facta sint in dicto loco de Frontiniano , ut ibidem dictum fuit in curia Fronti- niani et assertum; de quibus omnibus dicti consules Frontiniani petierunt sibi fieri publicum seu publica instrumenta. Acta sunt hec in curia Frontiniani, dicto domino judice sedente pro tribunali , presentibus tes- tibus, videlicet : Pascalis, dicti loci de Frontiniano; Durante de Peyroas ; Guillehmo de Cecono , mercato- ris ; Petro Guansisme , ordeari Montipessulani , et me Budo Celarari présente , auctoritate regia notarié , qui requisitus pro dicta in notam recepi. Vice cujus et mandate ego, Budes Celarari, clerico, praedicta scripsi. Cujusdem notarii substi tutus et ego idem Budus Ce- lararis, notarii , supra dicti facta collatione cum dicto substituto, in testimonio prescriptorum fori hic me subscripsi ac signavi. BuDus Celarari TRADUCTION L*an de l'Incarnation du Seigneur 1342, et le 14 du mois de mai , sous le règne du seigneur Philippe, - 26 — par la grâce de Dieu roi de France. Sachent tous , présents et à venir, que, en la cour de Frontignan, du domaine de notre sire Roi , et en présence de vé- nérable et discret seigneur Bude Cabrespin, clerc royal en jurisprudence et juge en ladite cour, au nom de notre seigneur le Roi de France , se sont pré- sentés Pierre Etienne, Pierre Pascal et Raymond Figuarède, consuls de Frontignan, lesquels ont exhibé devant le seigneur juge certaines lettres patentes de noble et puissant seigneur le sénéchal de Beaucaire et de Nîmes , au dos scellées de son scel et en la face comme il en apparaissait, lesquelles lettres furent enregistrées à Frontignan et à Aiguesmortes pour se conformer à l'ordre royal contenu en icelles; ainsi fait à Aiguesmortes suivant ordre du Roi et du sei- gneur sénéchal, comme on le dit en tête desdites lettres. Desquelles lettres et en tète suit la teneur , en ces termes : Jean de Pria, chevalier de notre seigneur Roi de France , sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, recteur royal de Montpellier et son vicaire (viguier) à Ai- guesmortes , justicier de cette sénéchaussée , à ceux à qui ces présentes lettres parviendront, quels qu'ils soient, et à leurs lieutenants, salut. Sachent tous que nous avons reçu certaines lettres royales ainsi conçues : Philippe, par la grâce de Dieu roi de France, au sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, ou à son — 27 — lieutenant, salut. Nous avons reçu une requête en forme polie, des habitants de l'université ou de la communauté de Frontignan , requête produite en notre cour maritime et que nous vous envoyons in- cluse sous notre contre-scel. Nous vous ordonnons que, de suite information faite, vous procédiez en notre nom à satisfaire à la requête contenue en la supplique des députés vers nous et de leurs adhé- rents. Et faites observer comme de juste la décision que vous aurez prise à ce sujet. Donné à Montpellier, le 16 février 1335. Après avoir sagement informé sur la pétition con- tenue aux lettres royales, en vertu de notre mandat ou de celui de notre lieutenant , comme digne de foi et zélé en ces choses spéciales, après en avoir dé- battu et délibéré avec notre grand juge et les autres officiers du Roi en notre sénéchaussée , avons reconnu avec empressement qu'il est très-préjudiciable, non- seulement aux suppliants et à la bonne gestion de leurs affaires publiques , mais encore à tous les ha- bitants du royaume, de pêcher en la mer avec un filet fermé ou instrument vulgairement nommé tcw- tane, depuis la fête de Pâques jusqu'à celle de la Toussaint , et que cette pêche en mer au filet fermé , ou tartane, n'est point préjudiciable depuis la fête de la Toussaint jusqu'à celle de Pâques. Du conseil de .notre grand juge et des autres offi- ciers ou conseillers royaux et des nôtres, il sera pourvu à la plus grande utilité des suppliants et de — 28 - leurs intérêts, ainsi que de ceux de tous les habitants du royaume. Nous voulons , en ce qui touche le contenu et la teneur des lettres royales, et nous ordonnons que dans notre sénéchaussée il soit interdit à tous de pê- cher en la mer ou ailleurs avec filet fermé , de la fête de Pâques à celle de la Toussaint ; tandis qu'il sera loisible à tous de pêcher avec cet instrument, de la fête de la Toussaint à celle de Pâques. C'est pourquoi , à vous et à ceux à qui il appartient , nous vous mandons et enjoignons, en vertu du man- dat de l'autorité royale , que fassiez observer notre ordonnance de point en point. Qu'elle soit criée à son de trompe et inviolable, ment suivie , sous peine de vingt-cinq livres tournois d'amende au contrevenant, amende à recevoir, en- voyer et appliquer au compte de notre seigneur le Roi. Donné à Alais, le P"" juin 1337, et rendu les lettres scellées. Certifié conforme le contenu desdites lettres par le conseil susdit. Enregistré au cartulaire de la cour d'Aiguesmortes , et fait publier à son de trompe. Les consuls de Frontignan, tant pour eux que pour leurs commettants que la chose intéresse ou peut intéresser , demandent qu'il leur soit donné acte pu- blic de toutes ces lettres susdites et de leur contenu. Et ledit seigneur juge s'est offert pour transcrire le contenu des lettres , et , la criée à son de trompe de — 29 — la défense contenue en ces lettres ayant eu lieu dans les rues de Frontignan et aussi en la cour de ladite ville et bien connue de tous^ les consuls de Frontignan demandèrent qu'il leur en fût donné acte public. Fait en la cour de Frontignan , mon dit seigneur juge siégeant en son tribunal. Ont été témoins: Guillaume de Cecon, marchand ; Pierre Guansisme, tisserand de Montpellier , et moi Bude Celarar , no- taire royal, qui requis ai pris note des présentes. En vertu de ce mandat royal , je, Bude Celarar, clerc, ai transcrit ce qui précède , et , collation faite avec mon substitut en témoignage de la vérité de ce qui précède, j'ai signé. Bude Celarar. — 30 N" 4 In nomine Domini, amen. Anno ejusdem Incarna- tionife millesiuio trescentesimo sexagesimo duo et die vigenta quarta mensis januarii, illustrissimo principe domino Johanne, Dei gratia rege Fran- corum, régnante, noverint universi quod : Existentes et personaliter constituti in curia re- gia castri de Frontiniano, domini nostri Francorum Régis , coram venerabili viro domino Petro de Salle- lit^, burgensis Montispessulani, castellano et bajulo Régis dicti castri, videlicet : Emilius Sàladinii et Jacobus Salvatoris, consules dicti castri, nominibus eorum propriis et ut consules et nomine Raimundi Pascalis et Guillelmi Armandi cons etiam dicti castri et nomine dictae universatis et pro dicta universitate singularium personarum de eadem, dixerunt et exposuerunt, nominibus quibus supra dicto castellano et bajulo quod, anno proxime trans- acto, inimici domini nostri Francorum Régis et gentium totius regni intraverunt hostiliter in dicto Castro de Frontiniano , et ibidem steterunt bene per septem septimanas et amplius, dictum locum de Frontiniano et gentes ejusdem depredando, combu- rendo et dampnifficando , interficiendo et aliter maie- — 31 — tractando. Item dixerunt et expotsuerunt coram dicto domino castellano et bajulo quod dicti inimici intra- verunt in dicto loco per locum vocatum H Sordilhon, stagnum dicti loci kolando, pro eo quia in dicto loco vocato H Sordiihon non erant fortalicia née fossata... Item dixerunt et exposuerunt nominibus quibus su- pra, coram dicto domino castellano et bajulo, quod ad finem quod dicti inimici nec alii inimici dicti do- mini nostri Francorum Régis non possint ab inde nec instanter intrare dictum locum nec dampnifficare, elegerunt una cum eorum consiliariis dicere est : Jacobum Tadei , Raymundum Quoquomi , Petrum Tecelli , Raymundum Combas , Jacobum Bezassa , Rostagnum Guilelmun Englesii, Franciscum Rodi- Ihonio, Petrum Scoti , Raymundum Maresii et Pe- trum Vici, probes viros dicti castri, ibidem présentes ad ordinandum et statuendum mœnia et fossata quse est inientio eorum facere, de capite mûri siti in dicto loco H Sordiihon usque ad capitem mûri antiqui situati ad Portale novmm. Quare petierunt et requi- sierunt ac et supplicaverunt dicto domino castellano et bajulo, ut relationem babeat a dictis probis viris supra praedictos cum sit periculum in morà ; et ipsa habita declaret mœnia et fossata fore facienda et construenda per locum et loca de quibus dicti probi viri facient relationem et nominabunt ; et ad ma- jorem tirmitatem pr?emissorum suam et suae curise auctoritatem judiciarem interponat pariter et de- cretum . - 32 - Et dictus dominus castellanus et bajulus , auditis petitis et requisitis ac et supplicatis per dictes con- sules nominibus quibus supra, et eas admissis tan- quam jure et facto consentaneis , interrogavit dictes procœres superius per dictes consules electos et nomi- natos, in sua pr^esentia constitutos , medio juramento per ipsos et eorum quemlibet ad sancta quatuor Dei Evangelia prestito corporali , si viderant et inspexe- rant bene et fideliter locum et loca castri per quem et per qua dicti mûri et fossata debent transire, construere, facere et edificare, et gentibus dicte minus dampnosa. Quiquidem probi viri, in presentia dicti domini castellani et bajuli, dixerunt eorum jura- mento et relationem dicto domino castellano et ba- julo , singulariter et sigilatim fuerunt se bene et fide- liter ad oculum vidisse et inspexisse locum et loca de capite mûri situati ah Sordillion existentia , usque ad aliud caput mûri an tiqui -situati âd Portale novum , et locum et loca minus gentibus dicti castri dampnosa , et specialiter gentibus hospitia ibidem habentibus ; et secundum videre ipsorum ubi dicta mura et fossata debeant fieri de capite mûri de /?' Sordilhon sequendo usque ad alium murum veterem , situatum ad Portale novum; videlicet de quodam signe per ipsos plantato, sive cruce , in pariete mûri de H Sordilhon , respiciendo recte versus hospitium Guilhelmi Armandi , situa- tum in loco dicto li Sordilhon , et quod hospitium dicti Guilhelmi Armandi remaneat infra mures et fossata ibidem facienda et construenda. — Item et de dicte - 33 — hospitio dicti Guilhelmi Armandi respiciendo recte versus hospitium Raynmndi Vedelli , situatum à la Capoliègra, et quod hospitium dicti Raymundi Vedelli etiam remaneat infra fossata et muros ibidem facienda et construenda. faciendos et construendos. — Item et de dicto hospitio dicti Raymundi Vedelli respiciendo recte ad hospitium Raymundi Panaterii , quondam situatum ad planum ciel Carnon, et quod quidem hospitium dicti Raymundi Panaterii remaneat infra muros ibidem facienda et construenda. — Item et de dicto hospitio dicti Raymundi Panaterii respiciendo recte versus caput mûri antiqui situati ad Portale novum. Et ita probi viri , cum eorum juramento , dixerunt unanimiter et concorditer dictes muros et fossata esse facienda et construenda perlocum etloca superius per ipsos expressata et minus gentibus dampnosa. Item dixerunt et relationem dicto domino cas- tellano et bajulo dicti proceres fuerunt quod Thomas Bezassa solva et solvere teneatur , et ex causa , octo florenos auri . Quos quidem octo florenos auri debeant expendi et deduci in utilitatem murorum et fossa- torum prsedictorum ibidem faciendorum. Et dictus dominus castellanus et bajulus, audita relatione dictorum proborum virorum, voluit, statuit et ordinavit ac et declaravit dictes muros et fossata fore facienda per locum et loca per dictes proceres supra notata et expressata , et dictes octo florenos auri per dictum Thomam Bazassa fore solvenda et - 34 — in utilitatem dictorum murorum et fossatorum facien- dorum , construendorum. Quibus omnibus et singulis prsemissis dictus do- minus castellanus et bajulus . iterato et ad cauthelam et ad majorem tirmitatem praemissorum habendam, auctoritatem suam judiciariam et dictae suse curise interposuit pari ter et decretum. De quibus omnibus et singulis dicti consules nomi- nibus quibus supra petierunt sibi fieri publicum in- strumentum, per me notarium infra scriptum. Acta fueruntlicec in dicta curia regia Frontiniani, dicto domino castellano et bajulo in eadem pro tri- bunali sedente , testibus presentibus : Jacobo En- giesii, filioPontii ; Petrode Fabricis, domicello ; Petro Ganni , clerico de Frontiniano , et me , Durante de Blaco, notarié publiée domini nos tri Francorum Régis, infra scripto, qui prsedicta requisitus in notam recepi. Vice cujus et mandate, ego, Guilhelmus Rocabayra, clericus Montispessulani juratus dicti notarii, haec omnia de ejus nota , non cancellata nec in aliqua ejus parte suspecta, sumpsi, scripsi iideliter et extraxi. Et ego , Durantusde Blaco, notarius publicus regius an te dictus, me subscribo et signe, in iidem et testi- monium omnium praemissorum. TRADUCTION Au nom du Seigneur, Amen ! et l'an de son In- carnation 1362, le 24 janvier, régnant très-illustre — 35 - prince et seigneur Jean , par la grâce de Dieu Roi des Français. Sachent tous qu'en présence de vénérable seigneur Pierre de Sallèle , bourgeois de Montpellier, châtelain et bayle du château de Frontignan, se sont assemblés et constitués dans la cour royale dudit château , appartenant au roi , savoir : Emile Saladin et Jacob Sauveur, consuls, qui , en leur nom et au nom de Raimond Pascal et de Guillaume Armand, également consuls , et aussi au nom de l'universalité de tous les particuliers de la ville de Frontignan, ont dit et exposé au châtelain et bayle qu'il y a près d'un an les ennemis du Roi et du royaume de France entrèrent en armes au château de Frontignan, et s'y établirent pendant plus de sept semaines, pillant, brû- lant , saccageant et tuant les gens du lieu ; Que ces ennemis ont pénétré dans la place par le lieu nommé le SordUhon, étang près de la ville, dé- pourvu de fortifications et de fossés ; Que , pour empêcher à l'avenir aucun ennemi du Roi ni du pays de prendre et de dévaster la ville , les habitants ont élu et adjoint aux consuls, comme, conseillers : Jacob Tade , Raymond Quoquom , Pierre Tecelle , Raymond Comba , Jacob Bezasse , Rostan- Guillaume Engles , François Rodilhon, Pierre Scote, Raymond Mares et Pierre Vie, tous honorables ci- toyens du lieu . réunis pour délibérer et statuer sur la construction des remparts et des fossés qu'ils ont l'intention de faire depuis la tète du mur du Sordi- Ihon jusqu'à la tête de l'ancien mur au Portail neuf. — 36 — Qu'à ces fins ils sollicitent et supplient le Seigneur châtelain et bayle de vouloir bien recevoir leur dé- claration d'honnêtes gens , qu'il y a péril en la de- meure , et que , cette certitude acquise , il déclare que les remparts et les fossés devront être construits aux lieux indiqués et désignés par ces honorables citoyens, qui pour plus grande certitude le prient d'appuyer leurs vœux de l'autorité judiciaire de sa cour , en ren- dant un décret favorable. Le seigneur châtelain et bayle, après avoir entendu la requête et la supplique des consuls , parlant au nom de tous les habitants , et l'avoir acceptée comme de droit et de son plein consentement , interrogea les plus proches de ceux que les consuls avaient nommés et qui s'étaient constitués en assemblée sous ses yeux, et , après leur avoir fait prêter serment pour eux et tous les autres sur les quatre saints Evangiles de Dieu, leur demanda s'ils avaient bien ot fidèlement vu et inspecté les endroits où les fossés et les murs devraient passer , afin de porter le moins de préjudice aux habitants. Ces honnêtes citoyens répondirent chacun au sei- gneur châtelain et bayle , sous la foi de leur serment , qu'ils avaient bien et fidèlement examiné et inspecté les lieux, de la tête du mur du Sordilhon ^wsc^u'à. l'autre tète de l'ancien mur situé au. Portail neuf , et l'endroit le moins préjudiciable aux habitants , spécia • lement à ceux qui avaient des hospices ; qu'ensuite il leur avait paru que les murs et les fossés , depuis — 37 - la tête du mur du Sordilhon ju.sqn'k celle de rancien mur du Portail neuf, devraient suivre le tracé sui- vant, à savoir: partir d'une croix plantée par eux dans la tête de muraille du SordUJio7i , en regardant tout droit dans la direction de l'hospice de Guillaume Armand, situé au lieu di Sordiihon, et laisser cet hospice en dehors des murs et des fossés projetés; Ensuite , de cet hospice de Guillaume Armand en regardant tout droit dans la direction de celui de Raimond Vedelle , situé à la Capoliègre, hospice quj restera en dehors des murs et des fossés projetés. Troisièmement, de cet hospice de Guillaume Ve- delle en regardant tout droit vers celui de Raimond Panatère , autrefois situé au plan del Carnon\ et qui, comme les autres , restera hors murs; Et enfin de ce dernier hospice de Raimond Pana- tère en regardant tout droit à la tête de l'ancien mur situé au Portail neuf. Et tous honorables citoyens aftirmèrent à l'una- nimité, sous la foi du serment, que le tracé qu'ils ve- naient d'indiquer pour les murailles et les fossés était le moins préjudiciable aux habitants ; déplus ils pro- posèrent au seigneur châtelain et bayle que Thomas Bezasse fût chargé de payer huit florins d'or , soumie qui serait affectée à la dépense des murs et des fossé ■ désignés. Le seigneur châtelain et bayle, après avoir reçu * Aiijounl'luii sans douto plitn iP/nrarnau. — 38 — et pris en considération la demande de ces hommes honorables , voulut , résolut et ordonna que les murs et les fossés fussent faits aux lieux indiqués par les consuls et leurs premiers conseillers , et que Thomas Bezasse payât les huit florins d'or destinés à la con- struction des murailles et des fossés. Et, pour donner plus de force à tout ce que dessus, le seigneur châtelain et bayle a rendu cette sentence et l'a appuyée de toute l'autorité judiciaire de sa cour. De tout ce qui précède les consuls, au nom de tous, ont réclamé acte public de moi , notaire soussigné. Tout ceci s'est passé dans la cour royale de Fron- tignan , le seigneur châtelain et bayle siégeant à son tribunal, et en présence, comme témoins , de Jacob Engles, fils de Pons ; de Pierre de Fabrice, damoiseau; de Pierre Ganne , clerc de Front ignan, et de moi, Durand Blac, notaire public de notre seigneur le Roi des Français, qui sur réquisition ai dressé cet acte. Par procuration et mandat du notaire ci-dessus , j'ai, Guillaume Rocabayre, clerc juré à Montpellier, pris fidèle copie de l'acte ci-dessus, non encore enre- gistré, mais digne de foi en toute sa teneur. Et moi, Durand de Blac, notaire public royal, je signe ce qui précède, en foi et témoignage de sin- cérité. Signé: Durand de Blac 39 — N°5 Karolus, Dei gratiaFrancorum Rex, dilectis eifide- libus gentibus compotorum nostrorum et thesaura- riis nostris Parisiis , salutem et dilectionem. Consules et habitantes loci nostri de Frontiniano, baronise Montispessulani et senescaliae Bellicardi , nobis ex- poni fecerunt quod cum idem locus , immédiate nobis justiciabilis et in solidum ad nos pertinens, prope mare per spatium dimidiae leucae ^ituatus, tantam raritatem bladorum sustineat et in eo exeat quod vix blada ibidem crescentia ad sustentationem vitae ha- bitantium in eodeni pro quarta parte anni sufficeie possunt; dictique expon entes , tam propter captio- nem et occupationem dicti loci dudum per Seguinem de Badefol , Anglicum , nostrum et regni nostri inimi- cum factum , qui quidem dictum nostrum locum per aiiquod spatium anni occupatum detinuit et totali- ter destruxit , quam propter onera importabilia quse tam in constructione fortalicii dicti loci, qtiod de novo a tempore dictse captionis citrà novis mœniis lapidibus et semento clauserunt et aedificarunt , quam in solutione tgibellas salis, in qua idem locus plus in duplum quam alia loca circumvicinia dictse provin- ci^^e , propter pisces récentes qui ibidem in magna — 40 — quantitate capiuntur salsandes, et etiam taillias, focagia et onera nominata que pro sustentatione guerrse et alla importabilia in dictis provinciis in- cessanter imponuntiir, adeo sant aggravati, et ad tantam paupertatem deducti , quod vix habent unde eorum vitam possint commode sustentare. Praefati- que exponentes, in proprio vel communi universitate dicti loci , nulles redditus vel emolumenta percipiant , unde valeant prsedicta onera supportare , nobis humi- liter supplicaverunt quatenus pra^missis consideratis, et ut aliqualiter iidem supplicantes a dictis omnibus releventur, construendi et liabendi in dicto loco pla- team , sive locum communem , ac tabulas seu stallas , ad vendendum pisces et carnes ac alias mercimonias , imponendique super dictis omnibus piscibus , carnibus et aliis mercimoniis, aliquod levé onus supportabile, dum tamen perdat de consensu majoris et sanioris partis dictorum babitantium, in utilitatem univer- sitatis dicti loci et non alibi convertendum ; baben- dique et faciendi in dicto loco mercatum , sive forum , qualibet die luna9 cujuslibet septimanae, ac inhibens ne infra dictum locum alibi quam in dicta platea carnes et pisces récentes ad annutum seu detaillam vendantur, concedere licentiam et auctoritatem fa- cere que super bis eisdem gratiam specialem digna- remur. Quapropter vobis committendo mandamus quatenus de et super pr?edictis . commodoque et in- commode nostre ac rei publicae illarum praesentim et dicti loci vocatis, evocandis , informatione per ba- — 41 — bità per vos diligenter inspecta et visitata, eisdem supplicantibus super his provideatis, prout vobis vide- bitur faciendum et ut similibus hactenus fieri con- suetum ; quoniam sic fieri volumus , et dictis suppli- cantibus concessimus et concedimus et gratia speciali, per présentes , bis subreptis ad hsec contrariis no- nobstantibus quibuscumque. Datum Parisiis, die tertià decembris anno Domini millésime CCC'"° nonagesimo^ et regni nostri unde- cimo. Per Regem ad relationem consilii : Fréron. TRADUCTION Charles , par la grâce de Dieu Roi des Francs , à nos amis et fidèles, les gens de nos comptes et nos trésoriers à Paris, salut et dilection. Les consuls et habitants de notre lieudeFrontignan, en labaronnie de Alontpellier et sénéchau^^sée de Beaucaire, nous ont fait exposer que comme ce lieu , immédiatement justiciable de nous, et nous appartenant en entier, situé à une demi-lieue de la mer, endure une telle disette de blé qu'il en aille ainsi que les blés du terri- toirs peuvent à peine suffire aux besoins des habi- tants pendant la quatrième partie de l'année ; et les- dits exposants , tant à cause de la prise et occupation dudit lieu par l'Anglais Seguin de Badefoïj notre ennemi et celui de notre royaume, lequel occupa — 42 - ledit lieu une partie de l'année et le détruisit com- plètement, qu'à cause des charges intolérables, comme la construction à chaux et sable des remparts dudit lieu depuis son occupation, le payement de la ga- belle du sel , qui pèise sur Frontignan plus du double que sur les localités voisines, à cause des poissons frais que l'on prend en grande quantité et qu'il faut saler, les tailles, fouages et charges désignées pour le soutien de la guerre et autres lourdes charges qui sont incessamment imposées sur ces provinces, sont tellement chargés et réduits à telle pauvreté , qu'ils ont à peine de quoi entretenir commodément leur propre vie ; et les susdits exposans n'ayant ni en propre , ni en la communauté du lieu , aucun revenu qui leur puisse faire supporter lesdites charges , ils nous ont humblement supplié , pour les dédommager en quelque manière, que nous daignions, de grâce spéciale , leur concéder la liberté et autorité : de con- struire et avoir à Frontignan une place ou lieu com- mun, avec des tables ou étaux à vendre poissons, viandes et autres marchandises , et d'imposer sur ces poissons, chairs et autres marchandises , quelque im- pôt léger et supportable, du consentement de la ma- jeure et plus saine partie des habitants , pour l'utilité de la communauté et non divertissable ailleurs, et de faire et avoir un marché ou foirai le lundi de chaque semaine, avec défense de vendre en gros ou détail hors de cette place les viandes et poissons frais. C'est pourquoi nous vous commettons et mandons — 43 — de , en tant que besoin , sur tout ce dessus faire une information exactement vérifiée par vous-mêmes, sur l'avantage ou le désavantage qu'il peut y avoir pour nous, pour la chose publique principalement dans le- dit lieu , et pourvoir aux supplications desdits ainsi qu'il vous semblera bon et qu'il est de coutume en semblables circonstances, car nous le voulons ainsi ; et auxdits suppliants nous avons concédé et concé- dons les présentes de grâce spéciale, malgré tout à ce contraire et nonobstant qui que ce soit. Donné à Paris , le 3 décembre de l'an du Seigneur 1390 et de notre règne le onzième. Par le Roi en rapport du conseil : Fréron. De par les gens des comptes et trésoriers du Roy notre sire, à Paris; gouverneur de Montpellier ou vous, son lieutenant : vues les lettres dudit seigneur, auxquelles les présentes sont attachées sous l'un de nos signes , octroyées aux consuls et habitants du lieu de Frontignan , faisant mention d'establir une place ou lieu commun pour mettre tables ou estaulz à y vendre poissons, chairs et toutes autres marchan- dises, à certaines charges et par certaines conditions et manières contenues esdites lettres, et d'y establir un marché chacune semaine le jour de lundi , nous vous mandons et commandons, de par le Roy nostre dit seigneur , que appeliez le procureur dicellui sei- — 44 — gneur ou son substitut au lieu , avec les seigneurs et tous les ayans foires et marchiez à Tenviron de la dicte ville de Frontignan , et autres qui pour ce feut à appeller, pour savoir si aucun verrait contredire le dit marchiè et autres choses dessus dictes, et adjous- tées les solennitez en tel cas requises , vous vous informez diligemment et deuement du proufit ou dommage qui au Roy nostre dict seigneur, ou à autres et à la chose publique, se porrait ensuir, de instituer et ordonner le dict marchiè et icelles autres choses , au jour, lieu et pour la manière que dessus ; et aussi faites crier et publier en tous les marchiès et autres lieux accoustumez à faire cris en icelle ville de Fron- tignan, et ailleurs où il appartiendra : que se aucuns veulent contredire le dict marchiè et autres choses avant dictes, ou eux opposans à ce , ils vous baillent , escript en rôles deuements faicts, leurs causes et rai- sons sur ce. Lesquels rôles, ensemble l'information, les criées et tout le procez que sur ce fait ou fait faire aurez, vous me renvoyez sans délai, clos sous le sceau de vous et du dict procureur ou substitut, avec vos advis et moniemens sur tout, sy devant faire; que tout veu et les opposans oys se mestre nous puissions ordonner comme au cas appartiendra. Donné à Paris, le unzièmejour de décembre mille trois cent quatre-vingt et dix. Hrrun. 1 — 45 — Karolus , Dei gratia Francorum Rex. Notum faci- mus universis , prœsentibus et futuris : per habita no- bis humili supplicatione dilectorum nostrorum con- sulum et habitatorum villae Frontiniani, senescallise Bellicardi , de coronae nostrse domanio existentis , requirentium est cum in territorio dictœ villae , quse prope mare per dimidiam leucam vel circiier sita est, non sint terrœ quarum exitus ad sustentationem victus dictorum siipplicatium suppetat per dimidii anni spatium, dictaque villa per defunctum Segui- nem de Badefol Angliae capta et detenta fuit, etpostea, sumptibus dictorum suppli- cantium, mûris et fossatis munita, et hujus atque subventionibus, pro supportandis oneribus guerrae in eadem senescallice decursisjam temporibus impositis et alias , dicti supplicantes non modica stipendia su- bierint , nos , ad ipsorum relevamen , dignaremus eis- dem concedere ut in eadem villa sit et habeant mer- catum in die lunae singulis septimanis. Nos dilec'is etfidelibus gentibus nostris compoto- rum nostrorum et thesaurariis Parisiis , per nostras patentes litteras mandavimus informationem fieri de comniodo et incommodo quod posset nobis et rei- publicre, necnon et vicinis locis et dominis eorum, et aliis quibuscumque, ex concessione dicti mercati (si fieret) provenire. Dictique gentes nostrorum compotorum et th.esau- 6 — 46 — rarii mandaverunt gubernatori Montispessulani , vel ejus locumtenenti , debitam informationem lieri, vo- cato ad hoc procuratore nostro dictse senescallise , ipsamque informationem sibi sub suo sigillo clausam remitti , ut , ipsius tenore viso , posset super hsec ra- tione prseviae provideri. Dictusque gubernator , vocato dicto procuratore nostro dictae senescallise , informationem super hii? fecerit diligenter, ipsamque transmiserit dictis gen- tibus et thesaurariis nostris Parisiis, ut super hac videretur consul tius quid agendum. Nos igitur, audita relatione dictorum gentium compotorum nostrorum et Ihesaurariorum Parisiis, supra nominatorum, in informatione prsedicta , per quam nobis apparuit concessionem dicti mercati , loco et die prasdictis, nobis et reipublicpe fore utilem , ne- minique dampnosam, Dictum mercatum prsedictis supplicantibus con- cessimus et concedimus habendum in dicta villa , die lunae singulis septimanis , prout est, ut supra dictus , requisitum . Pariter prœsentibus in mandatis dictis gentibus compotorum nostrorum et thesaurariis nostris Pa- risiis, senescallo Bellicardi et gubernatori Montis- pessulani, prsesentibus et futuris et eorum cuilibet, quatenus dictum mercatum in dicta villa nostra instituant vel institui faciant, dictosque supplicantes eodem uti et gaudere faciant , cessantibus obstaculis quibuscumque. — 47 — Qaod, ut tirmum et stabile perraaneat in futurum , sigillum nostrum , in absentia magni ordinatum , prgp. sentibus litteris jussimus apponendum , in aliis nostro et in omnibus quolibet alieno jure salvo. Datum Parisiis, anno Domini millesimo trecente- simo nonagesimo primo , regni vero nostri undecimo raense decembris. Per consilium , in caméra compotorum Parisiis exis- tens, in quo erant thesanrarii. Herun. Regia in caméra compotorum, VI die februarii anno M CGC IIII XI. Patentes Baschey ou Baschy. TRADUCTION Charles, par la grâce de Dieu Roi de France. Nous faisons savoir à tous , présents et à venir. Sur l'humble supplique à nous présentée par nos amés les consuls et habitants de Frontignan , en la séné- chaussée de Beaucaire et du domaine de notre Cou- ronne, requérant que, comme au territoire de ladite ville, qui est près de la mer, à une demi-lieue envi- ron , il n'est pas de terrain dont le produit suffise à l'alimentation des suppliants pour la moitié de l'an- née , et que la ville fut prise et détenue par feu Seguin de Badefol d'Angleterre , et après , aux - 48 — frais desdits habitants , munie de murs et de fossés , et par eux et leurs subventions imposées dernière- ment et auparavant , pour parer aux charges de la guerre dans ladite sénéchaussée, lesdits suppliants ont payé des tributs immodérés , nous , pour leur sou- lagement, daignons leur concéder d'établir et avoir dans la même ville un marché le lundi de chaque semaine. Nous avons mandé à nos amés et fidèles les gens de nos comptes et trésoriers à Paris , par nos lettres patentes , de faire une enquête sur l'avantage et le désavantage qui pourrait provenir de ce marché (s'il s'établissait) pour nous, la chose publique, les lieux voisins et 'leurs seigneurs, et tous autres. Et les gens de nos comptes et trésoriers ont mandé au gouverneur de Montpellier , ou son lieutenant , de faire une due information, appelé à ce le procureur de notre dite sénéchaussée, et de la remettre scellée de son scel pour pourvoir d'après sa teneur. Et le gouverneur, ayant appelé notre dit procureur de la sénéchaussée , aurait fait et transmis Tinfor- mation à nos gens et trésoriers à Paris , pour que sur sa teneur il fût miirement décidé ce qu'il y a à faire. Nous , donc , ouï le rapport de nos gens des comptes et trésoriers à Paris sur l'enquête , duquel il nous appert que la concession dudit marché, aux lieu et jour susdits , sera utile à nous et à la chose publique , sans nuire à personne, Avons concédé et concédons aux suppliants ledit — 49 - marché , pour l'établir dans ladite ville le lundi de chaque semaine, ainsi qu'il est demandé ci-dessus. Mandons de même à nos dits gens de nos comptes et trésoriers à Paris , au sénéchal de Beaucaire et au gouverneur de Montpellier, et à chacun d'eux pré- sents et à venir, d'instituer ou faire instituer ledit marché dans notre dite ville et d'en faire user et jouir lesdits suppliants, nonobstant tout obstacle. Pour la durée et force de quoi, nous avons fait apposer aux présentes le scel qui remplace le grand scel, sauf nos droits et ceux d'autrui. Donné à Paris , l'an du Seigneur 1391 et de noire règne le 1 P au mois de décembre. Par le Conseil, en la chambre des comptes de Paris, où étaient les trésoriers. Herun. En la chambre royale des comptes, 6 février 1391 Baschey ou Baschy. A quelle époque procédure ou enquête fut-elle plus minutieusement ordonnée ou suivie? Cependant nous sommes en 1391, sous Charles VI l'Insensé, et c'est un fou qui procède à ces témoignages tou- chants de sollicitude pour son peuple et pour la justice ! Fasse le Ciel que nos sages du jour fussent , sous ce rapport, aussi fous que l'époux d'Isabelle de Bavière , Charles VI l'Insensé ! — 50 — N° 6 Extrait tiré du livre n° 1 du premier paquet de l'armoire première des archives du Chapitre, f" 41 , et au dos: «Sentence rendue le 12 décembre 1394, par les officiers de Montpellier , entre le Chapitre de Maguelonne comme seigneur haut, moyen et bas, du lieu et terroir d'Aresquiès, et les officiers du Roy au siège de Frontignan , pour le plantement de quelques bornes qui séparent Ja juridiction dudit Aresquiès de celle de Frontignan ; w Pour le syndic du Chapitre cathèdral de Saint- Pierre de Montpellier^ r> Contre Monsieur le Procureur du Roy. y> Intrumentum sententiae perlatœ in curia palatii regii Montispessulani , super facta parietis nemoris Arisquerii. In nomine Domini, amen ; anno ejusdem Incarna- tionis millésime trecentesimo nonagesimo quarto, et die intitulata sabatti , duodecima dies mensis de- cembris , hora tertiarum , serenissimo principe do- mino Carolo , Dei gratia Rege Francorum , régnante. — 51 — Noverint univers! et singuli quamdam causam civilem agitatam fuisse per appellationem in curia palatii regii Montispessulani , ad audientia venerabilis viri domini Joannis Foresis, licenciati in legibus, judicis loci Frontiniani et baroniarum Montispessulani et Homeladesii , et coram nobili et potenti viro domino Pbilippo de Brueriis, milite; domino de Revello , cambellano domini Francorum Régis, ejusque gu- bernatori vWlpe Montispessulani et baroniarum prœ- dictarum — videlicet ; inter discretum virum magis- trum Bernardum Englesii, jurisperitum Montispessu. lani, procuratorem, actorem, seu sindicum substitu- tum a venerabili et religioso viro domino Astorgio de Gozano, baccalerio in decretis, canonico ecclesiae Ma- galonae, olim priore de Molinis, nunc vero de Castris, Magalonensis diocesis, procuratore , sindico et yco- nomo ac negotiorum gestore venerabilis capitali Maga- lonse ecclesise, prout de potestate dicti domini As- torgii constat; instrumente publiée in notam sumpto, subscriptoque et signato per magistrum Galterium , clerici notarium, sub anno Domini millésime trescen- tesimo octuagesimo tertio, et die sexta niensis decem- bris, et de substitutione predicti magistri Bernard! constat quodam publiée instrumente, in notam recepto per magistrum Narcissum Mejani, notarium publicum regium Montispessulani, sub anno Domini millésime trecentesimo octuagesimo quinte, et die quarta mensis Martis, appellantem, ex una parte ; — et discretum virum magistrum Jascobum de Asperiis, baccalarium — 52 — in legibus et procuratorem regium villse et baronia- rum Montispessulani et Homeladesii, ex parte altéra, appellatum. In quaquidem appellationis causa fuit redditus libellus appellatorius coram dicto domino gubernatore, seu ejus locumtenenti, indicta palatii curia, et cujus ténor talis est: Coram vobis, domino guberna tore Montispessulani, seu vestro locumtenenti , asserit et injure proponit magister Bernardus Englesii, in legibus baccallarius, procurator et sindicus substitutus a venerabili et reli- gioso viro domino Astorgio de Cozono, in decretis baccallario, canonico ecclesiae Magalonœ et priore de Castris, Magalonensisdiocesis, procuratore et sindico venerabilis capituli dictse ecclesise Magalonensis, quod cum capitulum dictée ecclesise Magalonfe , una cum familiaribus et bonis suis, sint et diu est, fuerint in speciali salva gardia domini nostri Francorum Régis , et in signum salvse gardise procurator dicti venerabilis capituli, per suam salva gardiatorem ac vigori litterarum suarum regiarum , poni fecissent penucellum seu penucellos régies, floribus lilii de- pictos , in quodam pariete nemori Aresquerii , qui quidemlocus Aresquerii et dictum ejus nemus et paries sint et simper fuerint dicti capituli, habentis ibidem merum, mixtum imperium, et altam et bassam ac omni modam j urisdictionem ; qui locus dicti Aresquerii una cum dictis nemore, pariete et suis pertinentiis, est infra rectoriam Montispessulani. Magisterque Johannes Fore: Il résulte clairement, tant de cet exposé que des lettres patentes accordées en conséquence, que les ha- bitants de Frontignan possédaient ah antiquo la plage en question ; qu'elle faisait partie de leur territoire, et qu'ils en retiraient tout le produit possible, soit par la culture des portions qui en étaient susceptibles, soit par l'usage des parcours, soit par les fermages et arrentements des portions restées en nature d'her- bage. Il résulte aussi de ce qui précède que les lettres patentes de Louis XI ne sont point une donation ni un premier acte de possession, mais bien un titre de conservation et de maintenue; en sorte que, pour éta- blir la légitimité et l'inexpugnabilité de la possession des habitants, il suffit d'en prouver la continuité ; or elle est authentiquement prouvée par la multitude de baux à ferme passés au profit de la communauté jusqu'à l'époque où ce procès a commencé. Les baux qui ont été produits devant la Cour des aides de Montpellier sont des années 1588, 1595, 1596, 1598; des enchères, affiches et publications des années 1651 et 1653 ; d'autres baux des années 1687, 1689, 1695, 1702, 1704, 1711, 1716, 1721 et 1726; enfin une sentence contradictoire rendue le 22 mars 1641 contre Jean Gailhard, alors enga- — 131 — giste de la terre de Frontignan, par laquelle les habitants ont été maintenus dans la jouissance des plages situées entre la mer et l'étang, avec la fa- culté d'y faire dèpaitre leurs bestiaux et prohiber cette dépaissance à tout autre. Cette sentence, il est vrai, n'était que provisoire; mais elle était contradictoire, et, comme elle a été signifiée tant au sieur Gailhard, par exploit du 26 mars 1641, qu^au fermier du domaine, par autre exploit du 10 juillet 1689, et que ni l'un ni l'autre n'ont entrepris de la faire réformer, il s'ensuit que depuis bien longtemps elle a acquis l'autorité de la chose jugée, et qu'en conséquence la possession des habitants, ainsi établie par tant de titres divers, est vraiment inexpugnable. Les objections de l'adversaire contre ces titres et ces preuves ne sont pas difficiles à résoudre. Sa critique tombe d'abord sur l'inféodation de 1456, que les habitants de Frontignan n'ont invo- quée que surabondamment, et dont, comme nous l'avons observé ci-dessus, ils pourraient aisément faire le sacrifice. Le syndic des religieux observe : 1° que cet acte, tel qu'il a été produit, n'étant pas signé, est entiè- rement défectueux, irrégulier, et indigne de faire foi. Mais l'existence et l'authenticité de cet acte sont constantes et ne peuvent être révoquées en doute, puisqu'il est rapporté en entier, mot pour mot, dans — 132 — une transaction du 22 août 1517, que l'adversaire lui-même a produite, et dont, comme nous le ver- rons par la suite, il s'est efforcé de tirer des induc- tions favorables à son système. 2" Le syndic des religieux observe qu'il est dit, dans l'acte dont il s'agit, que l'inféodation fut con- sentie o6 defecium {nstrumentoruniy et propter evi- dentem utilitatem ipsius domini épiscopi '^ et il en conclut que l'évêque de Maguelonne n'a jamais eu aucune propriété sur la plage contentieuse, et que les habitants de Frontignan n'ont cherché qu'à s'ap- proprier le bien d'autrui par le moyen d'un titre vain et illusoire, concerté avec l'évêque de Maguelonne, qui gagnait autant qu'eux à cette usurpation. Comme si defectus instrumentorum pouvait s'in- terpréter autrement que par la perte des anciens titres! 'M.B.is, au surplus, ce défaut de titres de la part de l'évêque ne pourrait nuire qu'à l'évêque lui- même, dans le cas où il réclamerait le domaine supérieur de la plage, et non à la communauté de Frontignan, qui n'en demande que le domaine titile et qui ne fait cette réclamation qu'en vertu d'une possession constante et immémoriale ; car, lorsqu'on remonte à l'antiquité, il n'est pas rare de voir que des personnes aient vendu la propriété d'une chose qu'elles n'avaient pas : non est novum qui dominiwm ' A cause de la perte des anciens titres, et pour l'avantage évident du seigneur évèque. — 133 — non habeat, alicui dominium tribuat. (L. 45, ff. de Acquirendo r^nemZ)ommio.) Cependant, lorsqu'une telle tradition est suivie d'une possession constante et immémoriale, la propriété qui en résulte est également respectable et inviolable: Vetustas pro lege habenda est possessio, habet vim titidi * . 3° L'adversaire prétend que, suivant l'acte de 1 456, l'évêque de Maguelonne n'a point donné la plage elle-même, mais seulement les herbages de la plage, herbagia, ce qui, suivant lui, ne signifie qu'un droit de dépaissance dans les herbages de la plage ; mais cette objection est une subtilité qui ne consiste que dans l'abus du mot herbagia et dans la confusion du domaine utile et du domaine direct. Suivant les principes des fiefs et même dans le langage féodal, c'est dans le domaine direct et non dans le domaine utile que réside la véritable pro- priété : de là l'usage ancien observé dans les baux à fief de n'inféoder que les fruits ; en sorte qu'un seigneur ne se croyait point dépouillé du véritable domaine, quoiqu'il en eût transféré l'utile, parce que, en effet, l'emphytéose n'est autre chose qu'un droit sur la superficie. Voilà donc pourquoi l'évêque de Maguelonne n'exprima dans la concession que les herbages, herbagia, qui faisaient alors toute la consistance du domaine utile de la plage. < L'ancienneté de la possession doit être regardée comme loi, elle a la force d'un titre. 17 — 134 — Or qu'on rapproche ce titre de la manière dont la communauté a joui de la plage depuis plusieurs siècles, et l'on verra que ce n'est pas d'une simple faculté de dépaissance dont elle a fait usage, mais bien de toute l'utilité de la plage, car elle a mis en culture diverses portions et en a arrenté d'autres à des particuliers pour être défrichées. Ces défrichements, ces arrentements pourraient-ils s'accorder avec une simple faculté de dépaissance ? Ne doit-on pas les regarder, au contraire , comme autant de dispositions caractéristiques du droit de propriété ? 4° La dernière objection de l'adversaire, relative au titre de 1456, consiste à élever des doutes sur l'étendue et la situation de la plage contentieuse, et il la puise dans les termes de l'inféodation, qui por- tent : Confrontatur cum gradû de Vico ah unâ parte, cum plagia domini agathensis episcopi ah alid, cum mari ah alid et cum stagno de Vico ah altéra. (Est hornée d\n côté par le grau de Vie, de l'autre par la plage du seigneur évêque d'Agde, d'un autre côté par la mer et en deçà par Pétang de Vie.) Or, ajoute l'adversaire : — «Cette plage de l'évêque, j' qui est appelée en confrontation, ne se trouve en » nul endroit des terrains contentieux, et, comme w le grau de Vie est aussi appelé en confrontation w avec V étang de Vie, on ne pourrait trouver cette ^ plage qu'au delà de Frontignan, du côté de Vie, >' ce qui n'aurait rien de commun avec le terrain » dont il s'agit aujourd'hui. " — 135 — Mais, pour lever tous ces doutes et pour recon- naître le véritable emplacement de la plage, il suffit qu'elle soit confrontée dans toute sa longueur et dans toute sa largeur. Or elle l'est dans toute sa longueur, depuis le grau de Vie jusqiCaux homes de la plage de révêque d'Agde : a termina gradûs de Vico, usque ad ter- minas plagiée reverendi patris damini agathensis episcapij et dans sa largeur, depuis Vétang de Vie jusqu'à la mer : cum mari ah aliâ, et cum stagna de Vico ah altéra. Voilà la plage qui fait l'objet de la construction, et c'est la seule que les habitants de Frontignan aient jamais possédée. Le second objet sur lequel le syndic des religieux a voulu exercer sa critique consiste dans les lettres patentes du 14 octobre 1467, par lesquelles Louis XI a confirmé les arrentements faits par les habitants de Frontignan. de plusieurs portions de la plage, et sur la sentence d'enregistrement rendue par le gouver- neur de Montpellier , à qui elles avaient été adres- sées ; mais on va voir qu'il n'est pas plus redoutable sur ce point que sur le précédent. V « Cette pièce, dit l'adversaire, est des plus sus- » pectes, attendu qu'elle est conçue en langue fran- r> çaise, dans un temps où l'idiome latin était seul » en usage. L'on prétend aussi, ajoute-t-il, que » ces lettres sont signées par le Roi, par l'évêque w d'Evreux et autres, quoique le Roi seul eût accou- r> tumé de signer de semblables lettres. » — 136 — Nous devrions être dispensés, ce semble, de ré- pondre à une si déplorable objection. Cependant nous remarquons qu'il y a beaucoup d'ordonnances qui, quoique rendues dans le XIIP et le XIV^ siècles, sont promulguées en langue française. Telles sont plu- sieurs ordonnances de Philippe III, qui régnait dans le XII? siècle ; tel est aussi l'édit portant établisse- ment de la Cour des comptes à Montpellier, qui est de la même année et du même mois que les lettres pa- tentes dont il s'agit ici. D'un autre côté, il n'est pas vrai que ces lettres soient signées de l'évêque d'Évreux , car il est seule- ment dit : Par le Roi, Vèvêque cTEvreux et autres présents; et l'on pourrait prouver par mille exem- ples que l'usage, alors, dans tous les actes du grand sceau, était de nommer toutes les personnes qui, présentes au conseil, avaient été témoins des ordres du Roi. 2° Les lettres patentes de 1467 n'ont jamais été enregistrées au Parlement ; comment peut-on oser les invoquer comme un titre légal % ' La réponse est simple : en lisant ces lettres, on ne peut se dissimuler qu'elles n'avaient précisément d'autre objet que de réprimer les entreprises que les officiers de justice s'étaient permises contre la com- munauté de Frontignan, pour l'empêclier d'affermer les herbages. Dans cette position, il n'aurait pas été possible d'adresser les lettres de protection et de maintenue au Parlement, qui était lui-même l'au- — 137 — teur des troubles ; il a bien voulu en confier l'exécu- tion à une autre autorité non suspecte : c'est le gou- verneur de Montpellier que Louis XI choisit pour cela, et c'est à lui qu'elles furent adressées ; or la sentence d'enregistrement qu'il rendit se trouve à la suite de l'exemplaire qui a été produit : que manque- t-il donc à ces lettres pour être un titre légal et au- thentique ? 3° Quoique les lettres patentes expressément por- tent que les habitants de Frontignan faisaient la- bourer au temps passé les terres et garrigues du dit lieu du côté devers la mer et près des rivages d'icelle, l'adversaire allègue que cela ne peut être entendu de la plage contentieuse, pour la raison que les habitants n'avaient aucun titre et que nul ne peut posséder que conformément à son titre. Mais de ce que les habitants ne demandaient autre chose que d'être maintenus et confirmés dans leurs anciennes possessions, n'est-il pas évident qu"ilt> n'avaient besoin d'autre titre que leur possession même, qui était de notoriété publique, et qui n'était ni contestée ni déniée par les officiers de justice contre lesquels ils imploraient le secours de l'autorité sou- veraine % 4° Le seul titre des habitants de Frontignan con- sistait dans l'inféoda tion de 1456; or ce titre n'était point un titre de propriété du domaine idile de la plage, attendu qu'il ne leur donnait qu'une faculté de dépaissance. — 138 — Nous avons déjà répondu à cette dernière partie de l'objection, et la preuve que l'inféodation de 1456 n'était pas le principe de la possession des habitants se tire de l'exposé même des lettres patentes, qui porte qu'eux temps passé, les manans et habit ans qui étaient alors au dit lieu de Frontignan faisaient labourer les terres et garrigues du terroir du dit lieu, du côté devers la mer et près les rivages dHcelle. En ejffet, ces expressions forcent, par leur nature même, de donner à la possession des habitants une époque très-ancienne, et par conséquent bien plus reculée que l'acte d'inféodation, dont la date ne re- montait alors qu'à onze années, car cette date était trop récente pour qu'on eût pu dire qu'yen temps passé les habitants étaient accoutumés de labourer, etc. , etc. Après cette analyse des objections du syndic des religieux, tant sur la substance que sur la forme des titres de propriété de la communauté, il faut encore jeter un coup d'œil sur celles qu'il a hasardées contre les preuves de possession. 1° On se rappelle que, pour établir que les habi- tants de Frontignan ont constamment affermé les herbages de la plage, on a invoqué les baux anciens des années 1588, 1595, 1596 et 1598. Le syndic des religieux, ne pouvant méconnaître la force de ces actes, s'est borné à dire qu'ils n'étaient pas applicables à la plage contentieuse, et il a avancé qu'il avait aussi des baux de cette plage pour les mêmes années faits au profit du monastère. — 139 — Mais il ne les a point produits, il ne les a même point fait connaître ; ainsi son allégation est absolu- ment inutile. Au surplus, qu'il les produise, on lui en renouvelle le défi, et on jugera, par leur compa- raison avec ceux de la communauté, lesquels sont les plus prépondérants et les plus applicables. 2" Nous avons aussi produit un cahier des en- chères publiques de la plage faites en 1648 et 1651. L'adversaire objecte que cette pièce est irrégulière et insuffisante, en ce quelle n'est point signée en plu- sieurs endroits et en ce qu'elle ne parle de la plage que d'une manière vague et indéfinie. Mais jamais critique ne fut plus mal fondée, car jamais on ne vit rien de plus authentique ni de plus précis que ces enchères : elles sont en original, signées des personnes qui les ont faites ; on y voit les signi- fications faites par les huissiers aux précédents en- chérisseurs ; on y trouve aussi les ordonnances du châtelain, signées de lui, soit pour faire assigner les enchérisseurs au lendemain, soit pour ordonner que le bail sera passé, et, si cet acte ne parle des her- bages de la plage que d'une manière indéfinie, c'est une nouvelle preuve que la communauté n'en possé- dait pas d'autre que celle dont elle est à présent en possession. Les baux postérieurs des années 1679, 1681, 1687 et 1689 mettent ce fait dans la plus grande évi- dence, puisqu'on y voit que les fermiers sont obligés de planter deux haies de tamaris du côté de la mer — 140 — et trois du côté de F étang, depuis la Peyrade jus- qu'à Cette, et qu'en conséquence il est ridicule, d'après cette désignation de localité, d'aller chercher la plage en question au delà de Vie. Les mêmes baux de 1681, 1687 et 1689 servent aussi à prouver, ainsi que nous l'avons démontré ci-devant, que les termes herhagia plagiœ, insérés dans l'acte de 1456, ne peuvent être entendus d'une simple faculté de dépaissance, mais bien de la pro- priété même du domaine idile de, la plage, puisque les fermiers y sont autorisés à faire autant de défriche- ments qu'ils voudront pour semer dans la plage, sans autres exceptions que les herbages ou portions d'herbages déjà arrentés et baillés à défricher du côté de Cette. Enfin, pour écarter cette série de baux depuis 1692 jusqu'en 1732, où le procès a été commencé, le syndic prétend qu'ils sont inutiles parce que l'abbaye n'y est point nommée et n'y a jamais été appelée, en sorte que c'est res inter alios acta, chose passée entre personnes étrangères à lui . Cette raison est puisée, comme on voit, dans ses prétentions mêmes sur la propriété de la plage ou dans son système de paréage, duquel dérivent toutes ses demandes. C'est donc ici le cas d'examiner ce système et d'ana- lyser les titres sur lesquels on cherche à l'étayer. 141 Analyse des titres invoqués par le Syndic des y^'eligieux bénédictins d^Aniane Le point unique auquel tendent tous les efforts du syndic des religieux est de persuader que la plage contentieuse leur appartient en paréage avec le Roi. Il y a eu deux motifs pour modifier ainsi son sysième d'usurpation; d'abord, il s'est flatté qu'en teignant d'intéresser Sa Majesté dans sa cause, l'ad- ministrateur des domaines ne viendrait pas contra- rier ses vues, et, en second lieu, il a cru qu'en con- fondant les droits de son monastère avec ceux du domaine, ils échapperaient à la prescription qu'on ne cessait de leur opposer. Aujourd'hui que l'administration des domaines est partie dans l'instance et que son intérêt et son devoir l'obligent précisément de combattre le système des religieux et de réprimer leur ambition, on peut bien croire que déjà ils ont manqué leur premier objet. A l'égard de la prescription, elle serait effectivement impuissante contre eux s'ils avaient jamais eu sur la plage contentieuse des droits de propriété com- muns avec ceux de Sa Majesté ; mais on va voir, par l'analyse de leurs titres, qu'ils n'en ont jamais eu. Le premier titre qu'ils invoquent sur la plage est le même que celui dont on a déjà vu qu'ils se préva- laient au sujet des maniguières, c'est-à-dire l'acte de paréage du 14 juillet 1202, passé entre Gausselin, 18 - 142 — abbé d'Aniane. et Guillaume, seigneur de Mont- pellier. Il parait, par cet acte, que Gaiisselin donne à Guillaume la moitié, par indivis, des droits seij^neu- riaux appartenant au monastère d'Aniane dans la paroisse et dimerie de Fronliynan , sur la mer, l'étang, la cosse , les terres et isles Vaquières et quelques pêcheries : DonOj tradoy etc. . . , pro indiviso, medietatem totius pulmenti et usaiici maris et sta- gnij et terrœ, et insulœ Vaccariœ. Le syndic des religieux, ne pouvant trouver le mot de plage dans aucune de ces énonciations, a d'abord imaginé de dire qu'elle était désignée parle terme censoœ ou cossoœ; mais rien ne peut justifier une interprétation aussi idéale, et, au contraire, il ^suffit de considérer que l'acte de donation dont il s'agit a été passé dans le XIIP siècle, où la moyenne latinité était l'idiome le plus commun, pour être convaincu que, si la plage y eût été comprise, elle aurait été énoncée par le mot tout simple de plagia, ainsi qu'il a été employé dans l'inféodation de 1456 et dans la transaction de 1517. L'adversaire s'est retranché à soutenir que la plage était comprise sous le nom des îsles Vaquières. Mais est-il plus heureux dans ce second retranchement'? Non assurément, car il est de notoriété publique que Visie Vaquières et la plage sont très-séparées l'une de l'autre, la, plage étant si- tuée entre la mer et l'étang, depuis le terroir d'Ares- quiers jusqu'à la montagne de Cette; tandis que Vis/e — 143 — Vaquière, éloignée de Xa. plage de plus d'un quart de lieue, est située dans la partie de l'étang qui touche au terrain fermé deFrontignan. Le second titre des adversaires consiste non-seu- lement dans un compromis des ides de février 1285, passé entre l'abbé d'Aniane et le Roi de Majorque, successeur de Guillaume de Montpellier, au sujet de la prétention qu'avait le premier d'obliger le Roi de Majorque à lui faire hommage et à lui payer une redevance, en reconnaissance de la moitié par indivis du pulment et de l'usage de la terre et isle Vaquières, inféodée en 1202, ainsi qu'il est dit dans la sentence arbitrale qui a suivi ce compromis et qui est inter- venue le 4 des kalendes de juin 1286. Mais ce titre n'est pas moins étranger à la plage que le précédent, puisqu'il y est dit seulement que les parties seront tenues d'observer tous les pactes et conventions énoncés dans l'acte de 1202, et que pour tout détail on y trouve ces mots : de quibus- dam quoi dictus ahbax et monasteriuru Anianense hahent in mari et stagno de Frontiniano. Or, par ces mots limitatifs quibtisdam, on ne peut entendre que certains droits maritimes, certains droits sur l'étang, et non la plage, qui n'est ni dans la mer ni dans l'étang, mais bien entre les deux. On ajoutera ici que les adversaires ne Font jamais entendu autrement, et que c'est ici pour la première fois qu'ils ont voulu appliquer et l'acte de paréage et la sentence arbitrale dont est question à la plage. — 144 — Nous en rapporterons pour preuve l'arrêt du Con- seil du 18 décembre 1688, rendu entre le sieur Riquet, engagiste du domaine de Frontignan, et les religieux d'Aniane. On voit dans cet arrêt, d'une part, que Pacte de 1202 y est visé seulement comme une infèodation des eaux de l'étang de Frontignan jusqu'à la fon" taine et le roc de Cette; on voit aussi, d'autre part, que la sentence arbitrale n'y est pareillement visée que pour établir que la moitié des eaux appartient au monastère et l'autre moitié au Roi. Et c'est d'après cela que l'acte de paréage de 1202 et la sentence arbitrale de 1586 seraient exécutées selon leur forme et teneur, et qu'en conséquence les religieux seraient maintenus en la propriété et jouissance tant de la moitié des droits de pêche sur l'étang que de la moi- tié des droits de passage sur les jetées. Un troisième titre consiste dans un dénombrement fourni en 1690, par le syndic d'Aniane, devant les commissaires du domaine. Dans un des articles, les religieux dénombrent la justice haute, moyenne et basse, dans le lieu, terroir, bois, plages, isleset eaux de Frontignan, par indivis avec le Roi ; dans un autre, ils dénombrent audit lieu, terres, bois, plages, isles et eaux de Fronti- gnan, plusieurs censives, droits de champart, etc., etc. Ce titre, au moins, n'est pas, comme les autres," absolument étranger à l'objet de la contestation. - 145 — puisqu'il parle des plages; mais, loin d'êire utile aux religieux, il dépose hautement contre leurs préten- tions, puisqu'on rapprochant le dénombrement du jugement qui l'a suivi, et par lequel seul il peut avoir quelque poids, on voit que les articles ci-dessus rap- portés ont été rejetés absolument et de la manière la plusexi»resse. En elfet, il est dit dans le jugement que les com- raissairos du Roi ont reçu le dénombrement des reli- gieux d'Aniane, pour par eux jouir du contenu en icelui (mais avec cette exception et reserve formelles), sauf de la justice, haute, moyenne ci haêse de F r on- tignan, en parcage avec le Roi, moitié des fourgs banncmx dudit lieu, 45 livres cValbergiie sur la com- munauté de Frontignan, langues de bceafetW sols d'albergue sur le château de Roquefils, qui ont été rejetés du dénombre^nent. Voilà donc l'article de la justice et de la seigneurie formellement retranché du dénombrement présenté par les religieux ; mais de ce retranchement il ^ul nécessairement conclure que la plage et tout ce qui était compris in globo dans cet article, comme une dépendance de la justice et seigneurie, ont pareille- ment été rejetés : sublatâ causa, ioUitur effectus; et cette conséquence est d'autant plus décisive dans l'espèce présente, que, dans leur enquête introduc- tive de l'instance, c'est précisément et uniquement en leur qualité supposée de seigneurs hauts justiciers et censiers avec le Roi que les religieux d'Aniane — 146 — ont demandé à la communauté de Frontignan le dé- sistement de la plage. Il y a plus (et nous ne devons pas omettre de le remarquer), ce jugement, rendu sur le dénombrement dont il s'agit, renferme deux dispositions très-expli- catives des droits qui appartiennent au monastère et de ceux qui ne lui appartiennent pas. Par la première, il est dit que les religieux puiront seuls des censives qui leur appartiennent dans le lieu et terroir de Frontignan, conformément à leurs reconnaissances anciennes et modernes. Et. dans la seconde, il est dit que les mêmes reli- gieux jouiront des censives et redevances sur les eaux et maniguicres, par indivis avec le Roi, con- formément à l'acte de paréage de iW2. Or il résulte évidemment de cette distinction que les religieux n'ont aucun droit sur la plage, puisqu'ils n'en ont jamais demandé sur cet objet que par indi- vis avec le Roi, tandis '^e l'acte de paréage de 1202, loin de porter sur la pla^ e, ne concerne exclusivement que les eaux et maniguières. Les adversaires ont encore voulu argumenter des trois reconnaissances des années 1402, 1162 et 1509, en supposant qu'elles avaient été faites à leur mo- nastère et au Roi conjointement; mais on leur a répondu que cela ne suffisait pas et qu'il faudrait encore que la plage y fdt dénommée, ce qui n'était pas. Il en est de même des baux des années 1488. 1554 — 147 — et 1558, que les adversaires ont cité>^ comme étant visés dans l'arrêt du Conseil du 18 décembre 1868. Cet arrêt n'en fait mention que comme des baux à ferme de l'usage de la pêche qu'avaient les religieux sur l'étang de Frontignan. Enfin il est un dernier tiire dont les adversaires ont cherché à tirer parti : c'est une transaction du 2 août 1517, passée entre les consuls de Frontignan et l'évêque de Maguelonne. Pour l'intelligence de cet acte, il est nécessaire d'observer que les parties étaient en procès devant le gouv'erneur de Montpellier, au sujet de la plage aujourd'hui contentieuse. Levèque de Maguelonne demandaitque, conformément à l'infèodation de 1456, dont nous avons parlé ci-devant, les consuls de Fron- tignan fussent tenus de lui payer nouvelle reconnais- sance de cette plage et de lui payer la redevance de 12 poissons stipulée dans cet acte. De leur côté, les consuls de Frontignan s'oppo- saient à cette demande, sous prétexte que ce n'était pas de l'évêque, mais bien du Roi uniquement, qu'ils tenaient le domaine utile de la plage en question; et ils .ajoutaient que l'acte d'infoédation de 1456 ne pouvait pas être regardé comme un titre valable, attendu que les consuls qui l'avaient consenti alors n'y avaient jamais été autorisés par les habitants. Ce fut sur ces débats respeiHifs que les parties transigèrent, et, par l'acte qui fut passé à cet eifet, il fut arrêté que les consuls alors en exercice seraient — 148 — tenus de passer nouvelle reconnaissance de tous les herbages de la plage située entre la mer et Tétang de Frontignan , sous la censive de 12 poissons et sous la réserve de toute justice et directe au profit de Tévêque de Magueioune, tout ainsi que les anciens consuls Pavaient consenti, en 1456, envers Maur, alors évèque de Maguelonne. Tout cela n'annonce rien de favorable aux adver- saires; tout y est, au contraire, contre eux. Cepen- dant ils ont cherché à se rendre propices des con- ventions qui leur sont si évidemment étrangères, en disant « que, quoique les consuls de Frontignan re- •■' fusèrent, en 1517 , de reconnaître tenir la plage de » Maguelonne, sous prétexte qu'ils la tenaient du » Roi, c'est un aveu formel de leur part qu'ils recon- r> naissaient le Roi pour seigneur et que l'évêque de « Montpellier ne leur était rien. » Cela esi vrai ; c'est ainsi que les habitants de Fron- tignan le pensaient alors, et c'est peut-être encore ainsi qu'ils le pensent aujourd'hui ; mais cette con- séquence ne peut préjudicier qu'à l'évêque de Mont- ' pellier, à qui elle ôte le droit d'intervenir et de prendre le fait et cause des habitants de Fronti- gnan. Quant aux religieux, elle ne peut leur être pro-^ tiiable, parce qu'en reconnaissant tenir la plage du Roiv les consuls de Frontignan n'ont donné aucun droit sur eux au monastère d'Aniane, puisqu'ils n'ont pas dit à cet égard relever du Roi et des religieux conjointement. — 149 — 11 résulte de cette discussion que les religieux d'Aniane n'ont jamais eu, ni de leur chef, ni en paréage avec le Roi, aucun droit sur le terrain de la plage situé entre le rivage de la mer et l'étang de Frontignan; que le délaissement qu'ils en ont de- mandé à la communauté de Frontignan n'est fondé sur aucun titre de possession ni sur aucun acte de propriété; qu'au contraire, plusieurs titres, et sur- tout la possession la plus ancienne, s'élèvent forte- ment contre leur entreprise, et qu'en conséquence ils doivent être déboutés de leurs demandes et préten • tions, tant sur la plage que sur la maniguière du sieur Fournier. § m SUR LA VENTE. ET ADJUDICATION DE LA PLAGE DE FRONTIGNAN PROVOQUEE PAR l' ADMINISTRATION DES DOMAINES Nous l'avons déjà observé, les habitants de Fron tignan ne réclament autre chose que le domaine utile de la plage, dont la vente et adjudication ont été ordonnées par l'arrêt du Conseil du 15 décembre 1779. Le domaine direct, supremum dominium, ap- partient ou à l'évêque de Montpellier si l'inféodation de 1456 doit avoir son effet, ou plutôt au Roi, qui, incontestablement, a seul la justice et la seigneurie de Frontignan. Quoi qu'il en soit, c'est dans cette supposition 19 - 150 — même que nous ne craignons pas de dire que Sa Ma- jesté ne pourrait, sans blesser ouvertement les lois de la justice et sans attenter directement au droit sacré de la propriété, les dépouiller de ce terrain en ordonnant l'exécution de l'arrêt de 1779. La propriété des habitants de Frontignan dérive non-seulement de cette possession publique dont le.-: preuves, ainsi que nous l'avons fait voir, remontent à plus de quatre ou cinq siècles, et se perpétuent d'année en année jusqu'à ce jour; mais encore de trois titres qu'il suffit d'indiquer pour reconnaître combien ils sont authentiques et respectables. Le premier consiste dans les lettres patentes de Louis XI de 1467; ces lettres, soit qu'on s'arrête à la requête sur laquelle elles ont été accordées, soit que l'on considère leurs dispositions, forment réellement un véritable titre de propriété. En effet, il résulte de la requête présentée à cette occasion par les habitants de Frontignan que le ter- rain de la plage, dans lequel ils avaient été troublés par le châtelain et le procureur du Roi à Frontignan, avait été anciennement cultivé; que des circonstances particulières, notamment les incursions des pirates, avaient forcé les cultivateurs de l'abandonner et dé- terminé la communauté à le réduire en simples pâ- turages, mais qu'il n'en faisait pas moins pour cela partie du territoire, du taillable de la communauté, et était, par conséquent, dans ses mains une véritah/e proprù'té, un patrimoine réel. — 151 — Quant aux termes dans lesquels sont conçues les dispositions des lettres dont il s'agit, rien n'est en- core plus expressif, ni plus énergique, puisque le Roi autorise, tant pour le passé que pour l'avenir, non- seulement les baux que la communauté était dans l'usage de passer à son profit des herbages de la plage, mais encore les divers arrentements qu'elle en faisait lorsqu'elle y trouvait son avantage. Or ces arrentements n'était autre chose que des aliénations de quelques portions de la plage faites à des particuliers, à la charge de les cultiver et de payer une rente au profit de la communauté. Rien, sans doute, n'annonce plus clairement une propriété réelle et mcommutable, et rien n'est plus capable de montrer que Louis XI a voulu que toute l'utilité du terrain restât constamment à la communauté. Aussi la possession qui a suivi ces lettres y a- t-elle été conforme ; on en peut juger par la plupart des baux dont on a déjà parlé, et dans lesquels on remarque qu'en affermant les plages et les herbages qu'elle renferme, la communauté y met toujours l'exception formelle des diverses portions précédem- ment arrentées, et se réserve en même temps la fa- culté de faire de nouveaux arrentements. Qu'est-il arrivé de là *? Que tel est à présent l'état de ce terrain, qu'il est possédé en partie par divers particuliers qui cultivent les portions à eux abandonnées, qui en supportent la taille et les autres charges locales et municipales. - 152 — et qui en payent à la communauté les rentes et re- devances convenues ; tandis que le surplus, qui est resté en nature de pâturage, est possédé en commun, de manière que chaque habitant a le droit d'y en- voyer des bestiaux. Quel bouleversement, quelle révolution n'opére- rait pas dans de telles circonstances la vente de ce terrain, si, comme le demande l'administration des domaines, il était passé outre à l'exécution de l'ar- rêté du 15 décembre 1779 ! Le second titre de propriété est un acte du 22 mai 1602, par lequel le seigneur de Monchal, trésorier de France, commissaire député par le Roi à cet effet, a délivré à perpétuité et inféodé en fief noble aux consuls de Frontignan, pour eux et leurs succes- seurs à Vavenir, toutes et chacunes les garrigues^ bois, terres, hermes et vacants non encore ouverts et mis en culture, lesquels ont été réunis par ledit acte d'inféodation aux garrigues, pâtures, herbages, 'pâturages et pleiches (c'est-d-dire plages) qui sont dans la juridiction de Frontignan. Cette conces- sion fut faite moyennant un droit d'entrée de vingt ècus d'or, qui furent payés par les consuls, et à la charge d'une albergue annuelle de six écus d'or, payable chaque jour de fête de saint Paul au tréso- rier du domaine du gouvernement, à Montpellier. Ce titre, comme on voit, n'est point, ne ressemble point à un simple contrat d'engagement, qui, par sa nature, peut n'avoir son exécution que pendant un — 153 — temps et qui laisse toujours au Roi le droit et la fa- culté de rentrer dans son domaine quand il le juge à propos : c'est une aliénation absolue et • perpétuelle, puisque c'est un contrat légitime d'une inféodation authentique ; c'est donc un véritable titre de pro- priété incommutable et irrévocable: or jamais de pareilles aliénations n'ont été exposées à la revente. Enfin le troisième titre delà communauté deFron- tignan consiste dans un dénombrement qui fut fourni en 1679. Les commissaires du Roi chargés de faire la re- cherche des biens domaniaux et d'en poursuivre la revente rendirent, le 24 mars 1679, leur jugement, par lequel, sur la foi et en exécution de l'acte d'in- féodation de 1602, les consuls de Frontignan furent maintenus solennellement dans la propriété et jouis- sance de tous les bois, garrigues, terres, hermes, vacants, pâturages et herbages dont ils étaient en possession. C'est aussi sur le même fondement, et sur la pos- session publique et constante qui a suivi, que les ha" bitants de Frontignan réclament le domaine utile d'une plage que les bénédictins d'Aniane, d'un côté, et les administrateurs du domaine de l'autre, vou- draient leur enlever. Déjà ils ont lieu de croire que l'administrateur du domaine, mieux éclairé sur les droits de la commu- nauté de Frontignan, sur sa possession, sur la na- ture de ses titres et sur l'état actuel du terrain de — 154 — la plage, abandonnera absolument des poursuites qui pourraient paraître aussi injustes en elles-mêmes que fatales, par leurs suites, à la fortune d'un grand nombre de familles et à la tranquillité publique; son silence, d'ailleurs, depuis que la communauté a mis au jour ses droits, est un stîr garant de sa propre conviction. Quant aux religieux bénédictins, leur témérité n'a plus aucun prétexte, puisqu'il est démontré qu'ils n'ont aucun titre, aucune possession, ni sur la plage, ni sur la maniguière possédée par le sieur Fournier, et que c'est avec le plus grand succès que la commu- nauté leur a opposé Tunet l'autre. — 155 N 13 EXTRAITS DIVERS DU PREMIl'^R REdlSPRE DES DELIBERATIONS CONSERVÉ DANS LES ARCHIVES DE FRONTIONAN Jeudi 8 juillet 1627 : Dans la maison consulaire de la ville de Fron- tignan, par devant messire Hugues Picard, procureur du Roy, en l'absence du sieur juge, Se sont assemblés saiges et honorables hommes MM. Pierre Pascal, docteur en droit, Laurent Courrez, Antoine Roux de Guivre, Jean Maisson- nier, consuls; Pierre Pomier, Jean Dupuy, notaire; MM . Amand Bloc, receveur de la foraine, Jean Ga- nauldan,*Jean Aiguin, Jacques Lombard, Estienne Gaillard, Fultrand Burginer, Guillaume-Pascal Si- nadon, Jean Pascal, apothicaire, Pierre Moissons, apothicaire, M. Pierre Regnard, contrôleur, tous ha- bitants du dit Frontignan et conseillers. A été proposé par les dits sieurs consuls et par la bouche du dit sieur Pascal, premier consul. Que nouvelles sont venues du grau de Palavas qu'il y a un corsaire au devant d'icelluy qui a déjà — 156 — pris quelques barques, si on tient bon d'armer pour aller empêcher qu'il ne fasse du mal davantage. Délibéré que il sera député vers Monseigneur de Montmorency pour ce qu'il aurait permis d'armer deux barques pour courir sus au dit corsaire et sui- vant le commandement du dit seigneur se conduire. Ayant reçu avis d'icelluy il y sera pourvu. (N'a rien été résolu par la diversité des opi- nions.) 5 janvier i628 : Condé fait demander à la communauté, qui les lui accorde, des bateaux pour passer le grau de Palavas. 17 avril 1628 : Monseigneur de Montmorency requiert la com- munauté de fournir aux commissaires d'artillerie des tartanes et barques plates, pour transporter du grau de Palavas, où on les décharge, à Aiguesmortes, quatre canons que l'on envoie de Narbonne à Beau- caire. (Accordé.) 4 mai 1628 : Le marquis de Fosse, gouverneur de la ville et citadelle de Montpellier, est venu à Frontignan pour acheter certains chevaux venus de Barbarie. Ses dé- penses et celles de sa troupe s'élèvent de 45 à 50 livres, que paye la communauté. Mardi 7 juin 1628 : On fait nettoyer le port, encombré d'ordures et de vilenies . — 157 — 11 septembre 1628 : Mesures prises contre la contagion; on recom- mande la garde des portes, celles de Montpellier et du Port restent seules ouvertes, eu égard à la ven- dange, 21 octobre 1628: La vendange est rentrée ; on ferme la porte de Montpellier; celle du Pon reste seule ouverte. Re- commandations expresses pour la garde des mu- railles. 1er novembre 1628 : Les sieurs Chevallier Tournisy et de Jousserand, ayant en main une ordonnance de l'intendant delà justice pour -Monseigneur de Condè, demandent trois barques du port, de lÛOO à 1200 quintaux, au grau de Palavas, pour amener et conduire aux galères du Roi, à Toulon, les prisonniers qu'on a faits à Gai- largues. La communauté accepte et députe à Monseigneur de Montmorency, son protecteur. Chaque propriétaire de barque demande 400 li- vres ; les consuls offrent 1000 livres en tout; enfin, l'accord ne pouvant s'établir, on députe à Monsei- gneur de Nemours, à Montpellier, pour qu'il taxe les barques . 19 novemlire 1628 : Toute la province est menacée de la maladie qui qui est arrivée jusqu'à Narbonne. « Cette ville est dé- ~ 158 — » pourvue de blé et de farine, et, si Dieu nous vou- y> lait punir du mal, pourrions être en peine d'en y recouvrer. » Délibère l'achat de 1000 se tiers de blé. Que certaines personnes du voisinage veulent venir se retirer en cette ville et y amener du bagage et des bardes pour leur asseurement, à cause de la crainte des maladies. Délibère ne recevoir personne ni bardes, mais permettre l'entrée à gens venant des lieux non suspects et munis de bons bulletins. Propose de plus et délibère renvoyer les bouclies inutiles, lesquelles, s'il arrivait du mal, seraient en grande charge à la ville. De plus arrêter deux maîtres chirurgiens en cas de maladie et acheter deux barils de poudre de pa- tron Pierre Pascal, car il y en a peu en magasin. Enfin foire garder en commun avec les consuls de Montpellier le graudePalavas, aux frais du diocèse, et envoyé comme députés pour la santé, au grau de Palavas, les sieurs Maraval et Roux. 3 décembre 1628 : Monseigneur de Montmorency ordonne de nourrir et faire embarquer 400 hommes de guerre du régi - ment de Normandie au grau de Palavas, et mainte- nant les dits chefs et leur,:, troupes demandent un accommodement pour leur nourriture et se conien- teronl de 100 livres par jour. Accordé. — 159 — 3 décembre 1628 : En cas de maladie contagieuse, que Dieu veuille détourner y aux risques de la communauté, la famille du père capucin, au nombre de 10 personnes, et celle des pères de l'Oratoire, 4, seront reçues dans la ville. Expose aussi, si on tient bon, d'avoir des hommes à gaiges pour enterrer les morts. Remis à la pru- dence des consuls, de tel nombre qu'ils voudront et de telle paye qu'ils jugeront convenable. Expose aussi que, par ordre de Monseigneur de Montmorency, il est enjoint aux consuls des villes et lieux de avoir une mettery de quatre ou cinq cents pas de la porte, pour héberger les pauvres passants et leur fairedonner du pain et du vin aux portes, s'ils portent bons billets. On choisit la mettery et vigne de patron Justet *. 4 février 1629 : Monsieur le président de Grignac, par avis du 2 du présent mois, avertit qu'il doit passer le long de la plage le régiment de Lavalette, qui vient du côté de Narbonne, et qu'il est à craindre qu'il n'apporte du mal, et ordonne à la communauté de leur fournir des barques pour passer au grau de Palavas. * Celte délibération est l'acte de naissance de la maladrerie. Aujourd'hui, une croix à laquelle on se rend en procession, le jour du dimanche de la Passion, est le seul souvenir resté debout de la meUery de imtron Juslet. - 160 — 13 mai 1629 : Exposé par les dits consuls et par la bouche de Pierre Gaillard que, en exécution de l'ordonnance de Monseigneur de Montmorency, à lui faite verbale- ment et du depuis à iceux envoyée par écrit, en date du 7 du présent mois. Ils auraient fait armer et équiper une frégate pour, suivant les ordres que ledit seigneur aurait prescrits, tenir icelle au grau de Palavas et faire les courses ordinaires. Pour l'entretenement de laquelle Poussan a été baillé pour ayde, a les dits frais lesquels se montent, suivant le règlement porté par la dite or- donnance, à huit cent livres par mois. SAVOIR : 20 soldats à xx livres par mois 400 10 mariniers àxxiv livres par mois 240 1 capitaine et les commandants à Ix livres par mois 60 Et pour le fret de ladite frégate, cent livres. 100 Total .. 800 lu juin 1629: Emprunt de 900 livres pour entretenir au grau de Palavas la frégate chargé de prendre garde aux es- trangiers quy passent le long de la coste de la mer. 26 juin 1629 : Expose par la bouche du sieur Reynard, second, en l'absence du premier, que le Roy notre sire est dans le dit pays de Languedoc, et que toutes les — 161 — villes le vont trouver pour y demander leur necces- saire. Propose d'aller voir le Roy à Montpellier, de lui rendre leurs devoirs attendu qu'il est cy près de cette ville, et faire nomination de personnes capables. — Députe : Monsieur le juge Hugues Sicard, Messieurs les consuls Pierre Reynard, Louis Pugril, Et six habitans au choix des consuls, pour deman- der au Roy : 1° Refformer la tariffe pour le courretage ; 2" Lui demander la remise du fief ; 3" Lui demander le don des plages ; 4" Lui demander le privilège de n'entrer point de vin étranger dans la ville. 17 juillet 1629 : Des députés envoyés à Monseigneur de Mont- morency, pour décharge d'un logement de troupe (obtenu), reviennent avec ordre exprès de faire pré- parer les joustes qu'il s'est obligé faire voira Mon- sieur le cardinal, mesmes de les faire avec toutes les circonstances et plus grand appareil que faire se pourra. Délibère faire préparer les joustes et y apporter tout le soin que se pourra, mesmes de faire certaines casaques ou des habits pour les jouteurs et remiser préparer les barques pour ce iaire et n'y manquer — 162 — rien, comme aussy de faire voir le plaisir de la pesche sur l'estang et sur la mer, le tout à la prudence des dits consuls. 5 aoiist 1629 : Le sieur Pascal, docteur es droits, a fait (chez lui ) le logement de Monseigneur le cardinal de Riche- lieu et de son train, sur quoy il a souffert de (grands soucis, grands préjudices) mesmes pour les chevaux de manger de son son et avoine ( douze ou quinze quintaux), de quoi il demande a être dédommagé, ny ayant rien de pareil logement en toute la ville. (Accordé.) lUaoust 1629 : Propose faire société avec nos voisins long de là, marine, pour nous assister en cas de nécessité les uns les autres et se iwomettre la foy de nous secourir de vivres, médicaments et autres choses nécessaires. Délibère de faire la dite société avec Agde, Marseil- lan, Fleurensac, Bessan, Mèze, Bouzigues, Balaruc, Vie, Mirevaux et Villeneuve, et faire savoir notre intention à iceux pour que nos députés puissent s'entendre. 13 aoust 1629: La garde du grau de Palavas est laissée entière à Frontignan, ceux de Montpellier n'en' sont plus et le diocèse paye la garde. Les consuls Reynaid et Jean Pascal, de garde à Palavas, font savoir que le mal est à Montpellier. Le — 163 — président d'Agil et sa famille veulent venir à Fron- tignan. Ils resteront dehors dans la maison du con- sul, et la femme de M. d'Agil déposera à h. porte de la ville ^es hardes, qui seront parfumées; après quoi, eu égard à sa rp^ossesse, on la laissera entrer. 9 septembre 1629 : Le régiment de Picardy, qui à logé à Mirevaux et à Mèze, y a laissé le mal, dit-on ; envoi de députés dans ces deux villes pour savoir l'état de leur santé- Délibération du Conseil municipal de Frontignan, relative au chemin de la plage L'an mil huit cent soixante-quatre et le vingt- neuf février, le Conseil municipal de la commune de Frontignan, s'étant réuni sous la présidence de M. PouUie, maire, pour la session ordinaire de fé- vrier ; Présents: MM. Poulhe, maire, président ; Boisse (Gaston), adjoint; Barrai (Guillaume-Georges), Alibert (Pierre), Alibert (Philippe), Ladoux père, Salabert (Jean) aîné, Chappotin (Jean-Louis), Cam- panon (Gachon), Agulhetin ( François-Maurice ) et Marqués (Maurice) ; M. le Président expose que depuis longtemps les habitants de la commune expriment le voeu qu'il soit établi un chemin direct de Frontignan à la plage, en traversant l'étang d'Ingil ; que ce chemin, d'une utilité incontestable, procurera aux populations des — 164 — avantages immenses, qui peuvent se résumer ainsi : facilité de se procurer des engrais en enlevant les algues marines jetées sur les bords de la mer, et qui deviennent, en y séjournant, des foyers d'infec- tion ; faculté d'aller prendre des bains de mer, de se procurer du sable à petits frais, et enfin de mettre en culture partie d^s terrains de la plage qui restent incultes par défaut de communication. Après cet exposé, M . le Maire invite le Conseil à se prononcer sur l'opportunité de l'établissement du chemin dont il s'agit, et d'établir sur quelles res- sources il compte pour en assurer l'exécution. Le Conseil, ouï l'exposé de son Président, con- naissant et partageant les désirs des habitants de la commune ; Considérant que l'exécution du chemin dont il s'agit présente des avantages qu'on ne saurait mettre en doute ; Considérant que les habitants auront la faculté d'aller prendre les bains de mer, de se procurer du sable, en ayant seulement un trajet de deux kilo- mètres pour aller et retour, au lieu de quatorze qu'ils sont obligés de parcourir dans l'état actuel ; qu'ils ûuront également la faculté d'enlever les algues marines jetées sur les bords de la mer, et qui servent d'engrais à l'agriculture, et qu'indépendamment de ces avantages il y aura encore celui de livrer à l'agriculture des terrains délaissés pour ce fait d'ab- sence de voie de communication ; - 165 — Par ces motifs, le Conseil vote en principe le projet d'établissement du chemin de Frontignan à la plage, et, reconnaissant les bonnes dispositions des habi- tants, pense qu'il pourra être pourvu à une partie de la dépense au moyen de souscriptions volontaires, soit en nature, soit en argent, et charge son Prési- dent de supplier M. le Préfet, en le déclarant chemin vicinal , d'accorder pour son exécution tout ce que sa bienveillance lui dictera. Plus n'a été délibéré. 21 LES PLAGES LES PLÂ&ES Pour si haut que l'on remonte l'échelle historique, on trouve que les peuples entre la Garonne , la Mé- diterranée et le Rhône, s'appelaient Volceset se di- visaient en deux nations : Volces Tectosages et Volces Arécomiques; les premiers occupant le pays qu'on nommait, il y a cent ans, le haut Languedoc ; les seconds possédant les plaines du bas Languedoc jus- qu'à la mer. Ceux qui, de mémoire d'homme, ont les premiers foulé du pied les contrées que nous habitons sont donc les Volces Arécomiques , peuple énergique , promptement civilisés par leur contact avec les Grecs, qui semaient le long de la mer leurs colo- nies, des Alpes Maritimes aux Pyrénées, redoublant par l'exemple de leur activité celle d'un peuple hospi- - 170 - talier, dont la culture du sol , la pêche et l'élève du bétail constituaient la principale richesse. C'est de cette époque, par Marseille et Agde, que la vigne et l'olivier s'acclimatent dans les Gaules, présents inestimables de l'industrieux Phocéen dont nous recueillons aujourd'hui les bienfaits. A cette époque paradisiaque, les forces de la na- ture sont alliées à celles de l'homme, et, au dire de Pline, les dauphins viennent d'eux-mêmes prêter leur concours aux pêcheurs de la côte * . « Il y a , dit cet auteur, dans la province Narbon- " naise et dans le territoire de Nîmes, un étang. » appelé Lates où les hommes entrent en société r» avec les dauphins pour la pêche. Un très-grand r> nombre de poissons qu'on appelle midets , s'ef- » forcent, à certains temps. à^enU^er dans la mer » par les embouchures fort étroites de l' étang j à la r> faveur d'une espèce de reflux , mais avec tant w d'impétuosité, que les pêcheurs ne peuvent alors « tendre leurs filets sans s'exposer à les voir rompre » par la seule force de ces poissons , quand celle des » flots de la mer ne leur serait pas contraire. C'est " de cette même manière que ces poissons s'élancent r> dans la mer par les embovxihures voisines , et « qu'ils s'empressent d'éviter le seul endroit propre " à tendre les filets ; ce que les pêcheurs n'ont pas * Plino, liv. 4, C. -28. — Hhl. Lang., 2, 1, p. 51, L. 11 - 171 — w plutôt aperçu, que, conjointement avec une foule ■n de peuple qui sait le temps de la pèche, et que w la curiosité du spectacle attire, ils crient de toutes » leurs forces sur le rivage : Simon ! Simon ! » A cette voix, que les dauphins entendent à la " faveur du vent du nord, qui la porte vers eux, ils » s'approchent aussitôt et viennent au secours. y> On les voit venir comme une armée, et se ranger r> dans l'endroit où doit se faire la pèche. Là ils « font une espèce de barrière pour s'opposer à la » sortie des mulets, qui, saisis de crainte, sont forcés " de se tenir renfermés dans l'étang. » Les pêcheurs jettent alors leurs filets, qu'ils ont r> soin d'appuyer sur des fourches ; mais les mulets, r> qui sont extrêmement agiles, sautent par-dessus et » sont pris par les dauphins, qui, contents de les tuer, ;' diffèrent de les manger jusqu'à la fin de la pèche. y> Cependant l'action s'anime , et les dauphins, qui " combattent avec ardeur, prennent plaisir à voir " renfermer les mulets dans les filets ; et , pour les » empêcher de prendre la fuite, ils se glissent insen- w siblement et a^'^ec tant d'adresse entre les bateaux , » les filets et les nageurs , qu'ils leur ferment toute « sorte d'issue ; en sorte que les mulets, qui aiment « naturellement à sauter, n'osent plus faire aucun » mouvement, à moins qu'on ne leur jette les filets; r> s'ils viennent à s'échapper, ils sont aussitôt pris par " les dauphins, qui les attendent devant la barrière. " La pèche finie, les dauphins prennent et man- — 172 — r> gent une partie des poissons qu'ils ont tués et r> réservent l'autre pour le lendemain , sentant fort r> bien que la part qu'ils ont eue à la pêche mérite » quelque chose de plus que la récompense d'un jour. r> Aussi les pêcheurs, outre ces poissons qu'ils leur " abandonnent, ont-ils soin de leur jeter une pâte « composée avec du pain et du vin , dont ils se ras- » sasient. " Pline l'Ancien, qui raconte sérieusement ce qui précède, mourut, chacun le sait, lors de l'éruption du Vésuve, l'an 79 de N.-S. J.-C, ce qui reporte bien loin la pêche du mulet ou rtiuje dans nos étangs. En effet, si ceux de Nîmes employaient le dauphin pour s'emparer du muje de l'étang de Lattes , il est probable que les habitants des bords des étangs de Mauguio, de Vie, de Frontignan et de Thau , ne devaient point négliger un moyen si com- mode de se procurer beaucoup de poisson sans beau- coup de peine. Aujourd'hui les dauphins de Pline ont rompu leurs relations avec les pêcheurs du littoral , par remords d'un tel massacre de mulets, pourrait-on croire ; mais, comme nous voyons la scélératesse de l'habitant de nos plages transformer tous les jours son ancien allié en barils cV huile, nous attribuons, sans hé- siter, à une frayeur légitime l'éloignement que le dauphin témoigne visiblement aujourd'hui à l'homme et surtout au pêcheur. — 173 — L'ambition de Rome, aux prises avec celle de Carthage, amena les premières luttes sérieuses sur cette plaine, qui semblait n'avoir été couchée molle- ment au bord des flots que pour laisser les habitants savourer ses fruits délicieux et sommeiller oisifs sous les regards de ce chaud soleil, qui de tous temps s'est chargé de travailler pour eux. Annibal et Rome sollicitent à la fois les Volces : le premier, de lui livrer passage; la seconde, de le lui refuser. Nous sommes en 535; la deuxième guerre pu- nique éclate, et le grand Carthaginois, qui a franchi les Pyrénées , se trouve au milieu des Voices^ vos aïeux. La défection des Celtibériens, les postes qu'il a fallu laisser pour garder le passage des Pyrénées, ont réduit considérablement l'armée carthaginoise, et cependant c'est à la tète de cinquante mille fan- tassins, neuf mille cavaliers et trente-sept éléphants, que celui qui va mettre Rome à deux doigts de sa perte parlemente avec les Volces Aréco^niqueSj qui hésitent à le laisser passer. L'habileté punique et la force des armes employées tour à tour triomphent de tous les obstacles ; et, les Volces demi-gagnés, demi- battus, Annibal arrive aux bords du Rhône. Tout porte à croire que, dans sa marche vers les Alpes, le général carthaginois serra le plus près qti"'il put le rivage de la mer, et que ses cavaliers numides, alors les premiers du monde, suivis de monstrueux éléphants portant leurs tours chargées de 22 — 174 — soldats , défilèrent sur notre plage, aux lieux mêmes où l'hiver notre Lefauclieux interroge le vol rapide du canard sauvage. En moins d'un siècle, s'il faut en croire l'histoire, les Volces Arécomiques avaient perdu l'austérité de leurs mœurs et la réputation de leurs armes : le luxe et la mollesse qu'ils avaient empruntés aux Grecs ont fait tomber de leurs mains les longues épées qui les rendaient redoutables; de riches étoffes ont rem- placé les sayes grossières, dont leurs robustes épaules étaient couvertes auparavant. Rome guette sa proie, et la défaite de Bituit et de ses Allobroges va la jeter à ses pieds. En effet, les Volces ont prêté main-forte au vaincu, et les fils de la louve s'en vengent en déclarant province ro- maine le pays qui s'étend du Rhône aux Pyrénées : la Gaule Narhonnaise a vu le jour. De la prise en possession du pays par le consul Cneïus Domitius ^Enobarbus date la création de la voie qui porte son nom {via Domitii) et la fondation d'une ville entre Cessero et Substantion, appelée forum Domitiiy aujourd'hui Frontignan, persistons- nous à croire ; nous dirons pourquoi plus tard. Désormais les aigles romaines étendent, souve- raines maîtresses, leurs ailes victorieuses sur la Gaule méridionale ; mais patience : le luxe et la mol- lesse, qui ont livré les Volces Arécomiques à leurs serres puissantes, vont les livrer à leur tour, elles énervées, aux barbares des deux continents. — 175 - Le Visigoth, sauvage du Nord, où la vigne ne fleurit pas, roule jusqu'à la mer d'azur le flot de ses invasions successives, jusqu'à ce que le Sarrazin, sauvage de l'Afrique, où le soleil dévore les sables arides , vienne repousser le flot dévastateur par son flot maudit! Nous retrouvons notre plage et nos étangs, au milieu de ce chaos épouvantable, avec Charles Martel et la ruine de Maguelone. Maguelone , fondée dans une petite île au bord de la mer vers le vi^ siècle, était devenue depuis long- temps la proie des Sarrazins, qui en avaient fait une véritable place d'armes, grâce à la commodité de son port et à la facilité que sa position au bord de la mer leur donnait d'y débarquer en arrivant d'Espagne. De là ils exerçaient une telle piraterie sur toute la côte, que Charles Martel, ami des moyens héroïques, fit raser complètement la ville pour enlever ce refuge aux corsaires ; la cathédrale fut seule respectée , telle ou à peu près que nous la voyons aujourd'hui : majestueuse et désolée. Notre plage a donc vu passer sur ses sables le ter- rible roi des Franks, suivi des cohortes redoutables et chevelues qui venaient de raser les murs de Bé- ziers et d'Agde, dont ils avaient, par précaution, brûlé les faubourgs. Ces ruines entassées, ces populations mutilées par le fer et le feu, ne resteront pas sans vengeance; et il s'écoulera bien des années encore avant qu'un ha- — 176 — bitant d'outre-Loire, un Franciman, comme ils di- sent, puisse se fixer en Languedoc ou en Provence, sans soulever la haine publique de la petite localité où son étoile l'aura conduit. L'àme des populations ignorantes jouit de ce sin- gulier privilège , de se souvenir sans savoir ; c'est la légende invraisemblable, impossible, tenue véri- table et acceptée telle par ces natures versatiles et naïves, que le souffle du mal emporte aussi facile- ment que les eût emportées le souffle du bien. Maguelone détruite de fond en comble, l'évêque et le chapitre se retirent à Substantion. Quelques fugitifs vinrent sans doute se grouper autour des pêcheurs qui habitaient les ruines romaines du forum Doniitii ; et la population du Frontignan futur dut y gagner quelques archers déserteurs ou quelques frondeurs insoumis. Nous n'avons pas à nous occuper ici des luttes diverses du commencement du moyen âge ; et, pour ne point nous éloigner de nos plages et de nos étangs, nous passerons sur la vente de 1199, qui cède le château de Frontignan à Guillem VIII, seigneur de Montpellier, d'où il passe avec ses maîtres à la cou- ronne d'Aragon : ces documents seront produits plus tard. Nous croyons cependant devoir faire une ex- ception. Thibaut Visconti, pape sous le nom de Grégoire X, avait convoqué, en un concile à Lyon, tous les sou- verains de la chrétienté; une nouvelle croisade était — 177 — dans ses désirs, et Jacme I", roi de Majorque, le glorieux Conquistador , seigneur de Montpellier et de Frontignan, fut des premiers à se rendre à l'appel du Souverain Pontife en brillant équipage. A son retour, le vieux Conquérant, regagnant les Pyrénées, après l'avortement des projets du Pape Grégoire X, laissa, en passant à Montpellier, un sou- venir mémorable de son voyage: l'institution d'une Cour royale à Frontignan et son érection en fief libre, directement justiciable du roi (1274). Voici cette pièce, précieuse à tous les titres, et visée par le bayle de Montpellier, ainsi que l'indique l'en- tête en lettres rouges. La vision faitte par Mons le Baille de Montpellier, laquelle vision autrement se appelle vidimus tou- chant les lettres patentes Royalles concédées à V Uni- versité de Frontignan touchant la Cour de Fron- tignan. — Que nulle personne achettant les rentes de Frontignan ne puisse acheter la dicte Cour, ne aussy le Roy ne la puisse vendre, mais bien en mettre quelqu'un pour le exercement d'icelle; excepté le compreur des rentes du dict Frontignan , lequel compreur, quel qu'il soit, ne pourra tenir la dicte Cour. Noverint universi quod Nos, Bernardus Palmerii, burgensis et bajulus villae Montispessulani pro Do- — 178 - mino nostro Rege, vidimus, tenuimus et de verbo ad verbum coram nobis perlegi facimiis, quasdam pa- tentes litteras in pergamem scriptas a Domino Jacobo, Dei gratia bonae mémorise rege Aragonum, Majori- carum et Valencise, comité Barchinonis et Urgelii et domine Montispessulani , emanatas , et ejus sigillo cere croceae ciim cordulla cirici impendenti sigillatas formam quœ sequitur continentes : Noverint universi quod nos Jacobus, Dei gratia rex Aragonum, Majoricarum et Valencise , comes Barchinonis et Urgelii, et dominus Montispessulani, per nos et nostros damus et concedimus vobis uni- versis habitatoribus servitii nostri villae Frontiniani, tam prsesentibus quam futuris, quod nos vel nostri successores non possimus vendere nec vendamus ali cui v^l aliquibus emptoribus reddituum villee Fronti- niani, curiam ejusdem villte, nec aliquis etiam emptor reddituum dictée villae Frontiniani teneat ipsam curiam; sed nos et nostri retineamus semper ipsam curiam ad manum nostram, et ponamus in ipsà curià quem vel quos voluerimus qui dictam curiam teneant et exerceant officium ejusdem pro nobis; exceptis emptoribus reddituum prsedictorum ; mandantes tj- nenti locum nostrum Montispessulani et domini ejusdem, et aliis officialibus et subdictis nostris pre- sentibus et futuris, quod prsedicta firma habeant et observent et non contraveniant nec aliquem con- travenire permittant aliqua ratione. Datum in Montepessulano , quindecima kalendis — 179 — madii anno MCCLXXIIII, signum Jacobi, Dei gra- tia rex Aragonum, Majoricarum et Valentife , cornes Barchinonis Urgelii et domini Montispessulani. Testes sunt : Gr. vice-comes Caprariae ; Delmatius de Rocabertino, Rogerius, vice-comes Fuxonis; G. de Moncada, Bertrandus de Bellopodio. Signum Simonis de Sancto-Felicio, qui mandate domini Régis predicti hsec scribi fecit et clausit loco die et anno prsefixis. In quarum visionis et diligentis inspectionis testimonio, Nos bajulus praedictus, sigillum autencticum curiae nostrse ordinariœ Montispessulani bine presenti vidi- mus seu transcripto jussimus apponendum. Datum in Montepessulano, die VIII Augusti anno Domini MCCCLXXXXVI. Collatio facta cum litteris originalibus et superius insertis per me. MERART. TRADUCTION Sacbent tous que Nous, Bernard Palmerii, bayle de la ville de Montpellier pour notre seigneur roy, avons vu, tenu, et mot à mot fait lire en notre pré- sence certaines lettres patentes écrites sur parchemin, émanées de Jacques, par la grâce de Dieu et de bonne mémoire, roi d'Aragon, de Majorque et de Valence, comte de Barcelone et d'Urgel ; scellées de son scel — 180 de cire jaune, attaché à un cordon de soie, et conte- nant ce qui suit: Sachent tous que Nous, Jacques, par la grâce de Dieu, roi d'Aragon, de Majorque et de Valence, comte de Barcelone et d'Urgel et seigneur de Montpellier ; donnons pour Nous et nos successeurs, à vous tous habitants de notre fief et de la ville de Frontignan, tant présents qu'à venir : que Nous et nos successeurs ne pourrons vendre et ne vendrons à aucun ni aucuns acheteurs les revenus de la ville de Frontignan , la cour de ladite ville, et qu'aucun acheteur des revenus de la ville de Frontignan ne tiendra ladite Cour, mais que Nous et nos succes- seurs la garderons sous notre pouvoir immédiat, et mettrons en icelle celui ou ceux que nous voudrons qui tiennent ladite Cour et exercent l'office d'icelle, en notre nom, excepté les acheteurs des susdits re- venus. Mandons à notre lieutenant, ou à celui du sei- gneur de Montpellier, et autres nos officiers présents et à venir, qu'ils aient le dessus pour certain, l'ob- servent, n'y contreviennent point et ne permettent qu'aucun y puisse contrevenir sous aucun prétexte. Donné à Montpellier, le 15 des calendes de mai 1274. Signé, de Jacques, parla grâce de Dieu, roi d'Ara- gon, de Majorque et de Valence, comte de Barcelone et d'Urgel, seigneur de Montpellier. Témoins: Grégoire, vicomte de Cabrière; Delmas - 181 — de Roquever, Roger, vicomte de Fuxons; G. de Moncade, Bertrand de Belpuech. Signé, de Simon de Saint-Félix, qui par ordre du roi susdit a fait écrire et clôturer ce que dessus, aux lieu, jour et an susdits. En foi duquel visa et examen , Nous, bayle sus- dit, avons vu et fait apposer à ces présentes le scel authentique de notre cour ordinaire de Mont- pellier. Donné à Montpellier, le 8 août 1396. Collation faite sur les lettres originales ci-dessus insérées par moi. MERART. Une masure, qui porte sous ses combles trois écus- sons empâtés d'un badigeon mille et mille fois ré- pété, a conservé à Frontignan le nom de maison du Roi d'Atrtgon. La vérité est que Sanclie, roi de Majorque, héritier de son père Jacme P', était à Frontignan le 13 janvier 1311, attendant le ser- ment de fidéUté de ceux de Montpellier qui ne le lui avaient point encore prêté, et qu'il avait donné mandat de recevoir j^our lui à Guillaume de Ville- gut, chevalier, son lieutenant. Que le roi de Majorque ait séjourné dans cette pauvre maison, rien de moins probable; que les armes du roi Sanche et celles de Frontignan soient au cintre de ses fenêtres condamnées, rien de plus certain. Les vieilles chroniques ne nous disent plus rien 'J3 — 182 — de nos plages, jusqu'à ce que Frontignan, suivant la fortune de Montpellier, soit dètinitivement atta- ché à la couronne de France ; alors commence pour la vieille cité une époque de prospérité qui depuis longtemps lui était inconnue. Ses passerilles de mus- cat, entassées sur ses fortes chaloupes à voiles la- tines, vont jusqu'en Hollande porter le glorieux renom de ses produits délicieux. Les armes, et sur- tout les chevaux arabes, sont importés par elle , et le marché de Frontignan devient le rendez-vous des sportmen de ce temps. Des épidémies, des pestes, toujours venues du dehors, déciment à plusieurs reprises la population industrieuse de votre vieille mère ; mais les guerres de religion seront les seules causes mortelles de ja décroissance et de la ruine de la glorieuse cité. Notre plage alors est sillonnée par les régiments qui passent, Guyenne, Normandie, Royal-Dauphiné ou autres; ce sont tous les mêmes : batailleurs et pil- lards; et les barques vont prudemment leur porter des vivres, et prudemment aussi leur font passer le grau de Palavas, leur souhaitant bon voyage tout haut, et tout bas les maudissant de grand cœur. Une visite solennelle arrive cependant aux bords sablonneux de la Méditerranée : celle de Richelieu. Nous en parlerons plus loin à propos des étangs. Le moment nous semble venu de combattre cer- taines données mises en avant par l'honorable auteur du Mémoire sur i'awéh'oration du littoral, données - 1X8 — qui nous paraissent contraires à l'histoire et à la logique. Nous le ferons avec le respect et la défé- rence qui s'attachent au nom de M. Régy, mais avec l'indépendance et la loyauté dont nous nous sommes fait une régie, en tous nos actes, quels qu'ils soient. Que la plage se soit formée d'une manière ou d'une autre, peu nous importe; ce que nous tenons pour certain, c'est que la plage existe depuis long- temps , puisqu'on 737 (pour ne pas remonter au teuips de Pline l'Ancien) Charles Martel y détruisit Maguelone. La plage n'est pas malsaine, le Méuiowe sur F amé- lioration en convient lui-même, et la longue habi- tude que nous avons de fréquenter assidûment les bords de la mer nous autorise à joindre à cet avis celui de notre expérience personnelle : la plage même est très-saine. « Les masses d'eau ne sont pas insalubres par w elles-mêmes; les bords de la mer, alternativement r> couverts et découverts par les flots; les étangs, qui » par leur profondetir et l'élévation de leurs bords " n'offrent point à l'action solaire de l'été des sur- " faces à moitié ou entièrement desséchées, sont w parfaitement sains. r> Alors pourquoi « Les douaniers qui habitent les maisons blanches «que l'on voit à la plage sont-ils décimés par les »» fièvres " ? — 184 — « La plage s'éleva progressivement par les apports r> de la mer , qui continua à pousser son bourrelet « devant elle. Les vagues n'en franchirent plus qu'une « partie, de moins en moins étendue, par les grosses «mers, et ensuite par les tempêtes seulement. r> Cette hypothèse de la formation de la plage nous paraît fort admissible, à la condition que M. l'Ingé- nieur en chef voudra bien nous expliquer trois faits , que nous prenons la liberté de porter à sa haute connaissance : 1 " Le poste de douanes de Morin, en face de Fron- tignan, a été construit à 100 mètres environ du bord de la mer ; son prédécesseur-, construit anciennement à 15 ou 20 mètres de la vague calme, nous montre aujourd'hui ses pans de muraille effondrés dans les derniers plis de l'onde tranquille, et la mer des tempêtes laisse ses ruines à 10 mètres derrière elle, sous les flots. 2" Le poste de douanes de Philippe, entre le poste des Aresquiés et celui de Maguelone,. construit dans les mêmes conditions que celui de Morin, n'est plus qu'à 10 mètres de la vague; aux jours de tempête, la mer furieuse heurte aux volets du rez-de-chaussée, comme un propriétaire hâté de rentrer chez lui ; et les habitants effarés, réfugiés au premier étage, voient non sans frémir s'approcher l'heure où le local, miné, miné par un infatigable labeur, s'engloutira dans les flots. - 185 - 3" Nous avions remarqué dans nos courses à la plage de coquettes petites bornes, taillées dans cette belle pierre de Frontignan dont les plus riches hôtels de Montpellier tiennent à honneur de bâtir leurs assises. Ces bornes, bouchardées à vive arête, étaient noyées dans un massif d'au moins un mètre cube de pierres cimentées et bétonnées ensemble. Rien de plus inamovible que ces gracieuses petites bornes, alignées artistement au sommet de la falaise. Les douaniers, interrogés, ne purent nous dire ni qui les avait placées là, ni pourquoi on les y avait placées; nous supposâmes qu'elles limitaient ce que l'on est convenu d'appeler le franc bord de la mer. Eh bien ! il y a un mois, le livre de V Amélioration à la main, nous longions la plage. 0 surprise ! une borne, naguère au sommet de la dtme, prenait ses ébats à 20 mètres de là, dans les derniers plis de la vague azurée, qui gazouillait, couvrant de perles brillantes la tète carrée du terme vagabond. Notez que le transfuge avait fui avec armes et bagages, entraînant après lui son mètre cube de béton et de caillotix. Nous en dénonçons trois, de ces bornes rivées en place, que, sur tin parcotirs de 2,000 mètres, la mer insidieuse a détournées de leur devoir, et qui se sont laissé entraîner à mal ; car nous ne pouvons les accuser d'inconstance et d'avoir bondi vers le Ilot bleu , elles si mignonnes, avec un poids de 3,000 au pied. — 186 - Nous en concluons qu'aujourd'hui la mer ne pousï^e plus son hourrefet devant elle en face de Frontignan, mais bien, au contraire, le ronge peu à peu. Page 10, lignes 20 et suivantes, nous lisons : « Les plantations ne peuvent venir, en effet, là où "manque l'eau douce, l'abri contre les vents marins w et une épaisseur suffisante du sol au-dessus du ni- ■^ veau de la mer pour le développement des racines. « On peut même affirmer qu'il a dû en être toujours »» ainsi, car la plage a été constamment en s' élevant r par les apports de la mer. r> C'est le contraire de cette dernière proposition que nous affirmons. En effet, à quoi songeait donc ce fin roi Lotiis XI, en l'an de grâce 1467, quand il si- gnait l'édit que vous avez lu, portant que, « aux y^ temps passés y les manants et habitans quy lors "ostoient au dict lieu (Frontignan) labouroient et r> faisaient lahours es terres et garrigues du terroir «du dict lieu, du costé devers la mer et près des voi- r> sinages d'icelle « ? Voulait-il dire par là que, de son temps et aux temps passés, la plage était basse, sans culture, com- plètement stérile , excliisive'ment composée de sables inouvants , comme elle est aujourd'hui au dire du Mémoire '? Le roi de France Loys le unzwme, que certains - 187 — ont surnommé Je Dissimulé , se conduit d'ailleurs avec une franchise de haut aloi à notre égard quand il nous affirme, dans le même édit, que : « Mais pour ce que les pirates , larrons de mer, »quy souventes fois faisaient et font descente sur les r> dicts voisinages, prenoient les laboureurs cultivants ■)les dictes terres, les emmenoient, rançonnoient et wfaisoient plusieurs maulx et dommages. Les dicts "habitans quy depuis ont esté, voulant obvier aux «dicts incon venions , ont cessé de plus labourer les «dictes terres et du tout abandonné le labourage nd'icelles, etc. « Nous concevons parfaitement que des gens pai- sibles, des agriculteurs primitifs, de naïfs éleveurs de bétail, aient jugé prudent d'abandonner un terrain isolé, étranglé entre deux eaux, où les pirates bar- baresques venaient au grand jour les enlever, eux et leurs troupeaux. Ce que nous nous refusons absolument à admettre, c'est que des laboureurs et des pâtres soient venus de gaieté de cœur se faire enlever, eux et leurs trou- peaux, sur une langue de sables mouvants, sans cul- ture et complètement stérile, d'autant plus com- plètement stérile que nous remonterons plus haut dans les temps anciens, la plage, suivant M. l'Ingé- nieur, s" étant constamment élevée par les aj^ports de la mer. Or voici précisément une transaction datée des ides d'aoust mil trois cens un, insérée au livre Ta- — 188 — lame des Archist de rEvêcliè du dict Montpellier , eut té lettre D, f' MO. 13Ul est bien près de 1299, rantiquité est suffi- sante ; et cette vénérable transaction entre l'èvèque de Maguelone et les consuls de Fronlignan dé- clare que ces derniers font hommage au dict Sei- (jneur Evesque, pour les herbages de toute la plage qiiy est située entre la mer et l'estang, depuis les termes du grau de Vie Jusques aux ternies de la plage du Seigneur Evesque d'Agde; confrontant arec le dict grau de Vie, d'une part, et avec la plage du Seigneur Evesque d'Agde, d'autre part, et avec la nier d'aidrepart etat^ec l'estang de Vie, de l'autre part et ses confrotits. Voilà qui est clair. En 1301, la plage était non- teulement couverte d'herbages, mais encore cette plage était limitée avec une précision telle, que nous détiens qui que ce soit de pouvoir la limiter autre- ment aujourd'hui. Etes-vous curieux de savoir quels étaient ces her- bages? Rien de complaisant comme les vieux par- chemins, et celui-ci va nous le dire. Autre transaction entre l'évèque de Maguelone et les consuls de Fronlignan, datée du 14 juillet 145G, « insérée au livre de Messire Pierre de Furno, cotté lettre 0, fol. 21 du dict livre, estant dans les archist de l'Evêché. » Cette fois les consuls et habitants pourront porter des armes pour leur défense et celle de leurs biens ; — 189 — de plus, ils pourront faiie des cabanes pour se loger, ramasser du bois, soit pour édifier leurs maisonnettes, soit pour se chauffer ou faire cuire leurs aliments , et enfin it-prandrejons de bores, barrons et d'eu gués pour leur service. » La raison peut-elle admettre les pêcheurs de Frontignan construisant des cabanes , c'est-à-dire s'installant à poste fixe avec armes et bagages , et coupant des jons de bores et de barrons sur une langue sans culture, complètement stérile, émergeant à peine, à cette époque reculée, entre les eaux de la mer et les eaux des étangs, qui l'escaladent à tour de rôle, comme font des écoliers entre eux, jouant au saut de mouton. Langue de terre pardon ! langue tout court, composée de sables mou- cants. Il faut ; n prendre son parti, l'honorable Ingénieur a erré. La plage, de tout temps, ou du moins depuis bien longtemps, depuis les temps historiques par exemple, la plage a été ce qu'elle est aujourd'hui , sauf à admettre qu'elle ait été plus large au vis-à-vis de Frontignan , ce que nous serions disposé à croire. Les limites données par l'acte de 1301 sont celles d'aujourd'hui ! Les herbages désignés par l'acte de 1456 sont encore les seuls herbages que produise la plage au- jourd'hui ! Enfin Louis XI afiirme, en 1467, que de son temps 24 — 190 — »*t bien avant lui on labourait et dépaissait à la plage ! Que si M. l'Ingénieur n'était point convaincu par les cultures que tout le monde peut y voir, entre Frontignan et le pont de la Peyrade , nous le prie- rions de vouloir bien se souvenir que les pauvres douaniers ont comme principale ressource, près de leurs postes à la plage, un petit jardin, qui produit d'excellents légumes et leur est d'un grand secours dans leur pénurie. En dernier lieu, nous tenons à la disposition des incrédules un rôle daté de 1784, et portant à 84 le nombre des parcelles de terrain cultivées à la plage, par les seuls habitants de Fron- tignan ; lesquelles parcelles , en tout , payent la somme ronde de 590 livres 18 sols 6 deniers d'im- positions à l'Etat. Ce ne sont plus les pirates de mer qui pillent le laboureur, et il serait naïf de demander pourquoi ces parcelles ont été abandonnées. Donc, si l'honorable Ingénieur en chef ne se trompe guère quand il affirme que, « dans l'état actuel , cette langue est y à peu d'exceptions près, sans culture , sans plantations « , Il commet, en revanche, une grosse erreur quand il affirme qu'elle est complètement stérile et que les sables y sont mouvants. En ce qui touche l'étude des graus, nous nvons le bonheur d'être d'accord avec le Mémoire : Ouvertures de graus aussi nombreux que possible; — 191 — Efforts persistants à tenter pour obtenir leur per- manence ; Résultats incontestables de l'ouverture des graus sur la santé publique et sur- l'empoissonnement des étangs. Reste un point noir, question de logique surtout. Pourquoi M. l'Ingénieur en chef, reconnaissant que l'ouverture permanente d'un grau a une influence très-appréciable sur la santé publique, cherche-t-il, tout en constatant qu'ils ont raison, à jeter le blâme sur les populations, les conseillers et les maires, qui se sont efforcés de porter ce fait notoire, in- contestable, à la connaissance des autorités com- pétentes ? Pourquoi, page 10, page 11, page 40, ces amer- tumes, sans cesse renouvelées contre des gens in- struits par l'expérience, contre des administrateurs soucieux des intérêts placés directement sous la sau- vegarde de leur mandat ? Non. elles ne sont point souvent eœa gérées et tou- jours sans connaissance de cause (page 1 1 , ligne 8), ces réclamations dont, pour ne parler que de Fron- tignan. nos édiles d'alors ont saisi l'autorité supé- rieure Ces gens, les plus intéressés, ceux qui grelottent les fièvres paludéennes, n'ont aucun souci apparent ni caché de la table des logarithmes; mais leur coup d'œil, souvent infaillible chez les vieillards, a re- cueilli d'un long contact avec la nature un pro- — 192 — nostic rarement en défaut sur les effets et les causes de certains phénomènes météorologiques ou physi- ques. Si, les nuages et le vent consultés, ils devinent la pluie et le beau temps , pourquoi ne pas admettre que le retrait des eaux dans leur voisinage coïn- cidant avec l'arrivée de la lièvre, et le retour des masses liquides à leur niveau normal correspondant à la disparition des accès ; pourquoi ne pas admettre, avec ces braves gens, que les basses eaux leur sont funestes , et ne pas appeler avec eux, de tous nos désirs, auprès de l'administration , le jour où l'ouver- ture permanente des graus aura donné aux étangs un niveau constant , et à ceux qui en habitent les bords des conditions hygiéniques moins aléatoires ? Eh quoi ! en 1857, en 1858, après l'ouverture du grau, les pêcheurs prennent dans l'étang d'abondants rougets — le rouget , la bécasse de mer! — la sole y foisonne , des moules géantes s'attachent par longs régimes, comme des dattes, aux piquets des mani- guières ; le poisson frais , abondant et à bas prix, couvre notre marché, et l'on voudrait que nos po- pulations se fussent trompées ! L'admettrions-nous avec M. l'Ingénieur en chef, qu'il nous est impos- sible de voir en quoi son si/stènie (F amélioration y gagnerait. Dans tous les cas, il y a longtemps que la question des 'graus est à l'ordre du jour. Nous n'en voulons pour preuve que la délibération suivante : — 193 — Extrait du registre des délibérations de la com- mune de Frontignan. (Archives, 1*'' volume.) »Du mardy huitième jour du mois de juillet du- »dit an 1642, dans ladite maison consulaire, par- » devant ledit sieur Chastelain, » Se sont assemblés en conseil général, crié à son "de trompe par tous les lieux accoutumés dudit "Frontignan, saiges et honorables hommes : MM. Pierre Figuiere, Arnaud Garde veau, "Second et troisième consuls, le premier étant " absent. »MM. Pierre Moissons, consul vieux ; François Gaillard, lieutenant à la foraine et à la marine ; Simon Gaillard, escuyer; Antoine Pascal, Jean Delapierre, Raymond Pascal, cirurgien {sic) ; Jean Marrioys vieux. Jacques Calmes, Loys Pugue, Jean Roux, fils de Jacques ; — 194 — MM. Jacques Bloc, commis au grenier à sel; Jean Delapierre-Armignon, Thomas Fargues, Laurent Courrety, Pierre Bonpils, Jacques Pascal, tils de Guilhaume ; Pierre Balmagnie, Arnaud Montallic, Jacques Fuzes vieux, Pierre Granier, Simon Roux, Anthoine Boulanger, Jacques Benne, patron ; Jean Bourrut, Anthoine Valboussiére, Jacques Bally, Jean Bourrut, Pierre Tourne au, "Tous habitants de Frontignan, faisans et repré- " sentant, etc. « Sur la proposition faite par lesdits sieurs consuls «et par la bouche dudii M. Figuière, tenant lieu de «premier, que Sa Majesté, avant partir de ceste pro- « vincepour son retour à Paris, a escript à M. Desgue- «taux, intendant en la justice, police et finances de «Languedoc, pour faire ouvrir à la plage de ceste « ville, à l'endroit le plus commode à faire, un grau " aux dépens de tout la généralité de ladite province. — 195 — » En exécution de la volonté de Sa Majesté, Monsieur « Desguetaux se transporta hier au soir en ceste ville, «et ce matin est allé à ladite plage et visité tous les w lieux propres à faire ladite ouverture, accompagné ''de plusieurs habitans et entre autres des gens de ^ marine experts et capables de cognoistre l'endroit le "plus propre à faire ladite ouverture. « Et vu la diversité des oppinions à faire le choyé w dudit lieu, ledit seigneur est party pour s'en retour- r>ner vers Béziers ou Narbonne, et ordonné que les r'dicts consuls feroyent assembler leur conseil général "Ct faire résoudre par icelui à l'endroit où ladite "Ouverture doit être faite, pour après être rapporté "le lieu qui sera choisy et trouvé le plus commode à " faire ladite ouverture. Avec le plan de toute ladite " plage par personnage à ce expert pour après or don- " ner ce qu'il appartiendra. «C'est pourquoi ils ont convoqué l'assemblée pour " avoir avis d'icelle en quel endroit ladite ouverture " doit estre faicte pour estre plus facile à faire et quy " soyt plus durable et permanent, sur quoy, ledit sieur " Chastellain ayant recueilli les opinions , » A esté délibéré par la pluralité des oppinions de «faire ladite ouverture au grau du Vert, par vingt " voix, afain que le grau, estant fait audit lieu, sera "plus facile à faire et plus durable, d'autant que "ledit endroit est plus près et couvert d'une pointe " de terre advançant dans la mer, appelée la pointe » de la Cabasse, laquelle empeschera que la mer de — 196 — w ponent ne comblera par de sable ladite ouverture » comme au Granatil. » Joint que près de i'estang et dans icelluy n'y a ni r> roches ni pierres dans tout le cours que convient r> de faire ledit canal, estre de lest quy est une matière r> ferme, nestant subjecte a sesbouler comme le sable " et par conséquent le canal plus durable ; et linal- «lement et quy est plus considérable et nécessaire à "ladite ouverture au Vert, c'est qu'il y a 26 ou 30 w avis qu'il faut faire une muraille audict Granatil de r> pierre et de chaux du côté du ponent, pour empes- " cher qu'il ne se comblât de sable, lesquels pierres 5' se rencontrent à pic dans la mer à l'endroit où il " faudrait faire le grau, quy pourrait causer la perte w de plusieurs barques à l'abord d'icelluy, et par-devant r> le Vert il y a bon ancrage à cause de labry du rocher "et la mer défend la Cabasse au Granatil. « (La pointe de la Cabasse est à quelques cents mètres à l'est du lieu proposé par le Mémoire). Nous reviendrons sur cette délibération à propos de la fondation de la ville de Cette. «Le maire de Frontignan, ajoute M. l'Ingénieur r> en chef, nous a affirmé avec plusieurs habitants que :« l'ouverture fortuite seule des graus à l'étang de w Frontignan , dont nous avons parlé, a euffi pour «amener une amélioration de la santé. Cependant la " couche d'eau qui passait par ces graus, très-peu r> de temps après , n'était que de 0'" 30 d'épaisseur. — 197 — y^ Le produit des eaux par ces ouvertures était cer- y>tainement trop faible pour qu'elles aient pu avoir y des effets sensibles.» Conclusion forcée : le maire de Frontignan, qui était aussi docteur en médecine, s'est trompé ou a trompé. Le croit-on ? Eli bien ! qu'on nous donne 0'" 30 de profondeur d'eau permanente dans le grau, avec le contact régulier de l'étang et de la mer, nos vœux seront accomplis! M. le Maire de Pérols en dit autant. MM. les Maires des communes rivei-aines de l'étang de Mauguio en disent autant à M. le Préfet, chaque fois que, depuis dix ans, les travaux se sont ensablés (c'est le Mémoire qui le déclare). On s'imagine que, toutes ces preuves réunies, M. l'Ingénieur en chef abondera franchement dans le sens des populations et des maires Lisez plutôt ! (Page 4U) « On peut affirmer que l'ouverture d'un «grau amène dans l'étang, avec lequel il fait commu- V niquer la mer, un changement des plus favorables à «la santé !»Puis, immédiatement, virement de bord : "Sans nul doute, il y a exagération dans la croyance r> des populations à cet égard. w Est-ce blanc ? est-ce noir? Pourquoi ce parti pris contre les populations, qui, en fait de graus, sont d'accord avec le Mémoire ? Nous n'y avons rien com- pris. — 198 — Nous allons toutefois publier une liste des décès et des naissances de la commune de Frontignan, depuis l'établissement des registres de l'état civil jusqu'à nos jours, en notant les époques de l'ouver- ture et de l'ensablement des graus, autant que se souviennent les anciens. Nous verrons si les der- nières ne correspondent point à une mortalité plus grande ! Cette liste officielle est due à l'obligeance de M. Floris, premier adjoint. Qu'il reçoive ici nos remerciements de ce bon procédé pour nous. Etat des registres de l'état civil de la commune de Frontignan Années. 1790 1791 1792 1793 1794 1795 179G 1797 1798 Naissances. 51 . 49 . 48 . 87 . 47 . 33 . 69 . 52 . 69 ., Décès 32 27 32 71 50 69 69 25 31 Dans cette période, les indica- / tions manquent pour constater 1 l'état des craus. Années. 1799 1800 1801 1802 1803 1804 1805 1806 1807 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814 1815 1816 1817 1818 1819 1820 1821 1822 1823 1824 1825 1826 1827 1828 Naissances. 71 . 52 . 60 . 70 . 58 . 58 . 52 . 68 . 53 . 67 . 62 . 57 . 62 . 43 . 62 . 63 . 77 . 63 . 75 . 69 . 83 . 76 . 67 . 79 . 77 . 75 . 90 . 96 . - 199 ^ Décès. 33 \ 47 60 46 80 88 60 47 53 46 21 56 97 41 60 44 40 30 42 60 42 64 59 76 51 61 45 77 61 60 Dans cette péi-iode, les indica- tions manquent. Le.s anciens que nous avons interroges se souviennent seulement que le grau s'est ensablé vers 1830. Années. 1829 1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 Naissances. 7>> 78 78 78 63 74 6S 81 — 200 — Décès. 74 65 83 121 81 58 87 1837 .. . 65 ... 59 1838 . .. 79 ... . 76 1839 .. .. 95 .. . 66 1840 .. .. 76 .. . 57 1841 . .. 72 .. . 62 1842 . . 92 .. . 70 1843 . .. 66 .. . 71 1844 . . . 05 . . . . 64 1845 . .. 73 .. . 69 1846 . .. 83 .. ..100 1847 . . 87 .. . 61 1848 . . . 84 .. . . 75 1849 . . . 76 . . 65 1850 . . . . 89 . . 67 1851 . . . (36 . . . 51 1852 . ...102 .. . 92 1853 . . . 74 . . . 65 Le grau complètement fermé. Choléra. Choléra (moins violent qu'en 1832 cependant). 52 T-'S gi''iu s'ouvre accidentelle- ment et donne avec des alter- natives de hausse et de baisse, jusqu'en 1852-1853. Grau ouvert, bien que faible- ment ; il y a communication l'hiver et ensablement partiel pendant l'été. Ensablement complet du rrau. Années. 1854 1855 1856 1857 1858 1859 1860 1861 1862 1863 1864 1865 - 201 - Naissances. Décès. 78 64 73 73 75 103 95 93 loi 100 132 127 1866 . ..113 1867 . ..123 1868 . .. 33 109 62 45 61 36 67 64 85 63 55 89 172 88 91 32 Choléra, suette, etc., etc. Ouverture factice du grau. M . Poullie , docteur , maire alors , conduit quelques ou- vriers à la plage. Les pluies abondantes avaient gonflé l'é- tang; il suffit de quelques coups de bêche, et deux minutesaprés un torrent furieux, large de 10 mètres sur 3 de profondeur, se ruait à la mer. Ce grau a per- sisté jusque vers 1864 : c'est celui où M. Régy a constaté O-nSO de tirant d'eau en 1860 ! Grau fermé ; épidémie de pelite-vérole si maligne, que nombre de grandes personnes en meurent. .lusqu'à tin mars Aujourd'hui le grau est fermé. Pensera-t-on en- core , après avoir parcouru ce tableau , que les popu- lations ont tort et que leurs demandes sont exagérées quand elles réclament à cor et à cris l'ouverture du grau? Revenons à l'étude des plages et de leur forma- tion. Nous lisons page 13, ligne 3 : « 11 ne faut pas oublier cependant que, les apports - 20-2 - «de la mer étant, en somme, supérieurs aux resti- y> tutions qu'elle reçoit, l'effet d'augmentation sur la «plage, considérée dans toute son étendue, doit en y> définitive l'emporter, r. Il s'agit ici de la Méditerranée ! Voici ce que nous lisons dix. pages plus loin, ligne 9, où il s'agit des dunes de l'Océan : «Le volume de sable que l'on voit sur le littoral «de la Méditerranée est très-faible si on le compare » à celui des dttnes de la Gascogne, et la distance des «plantations à la mer, moins grande que celle ob- «servée dans les Landes, s'explique par la diffé- « rence des vents : tandis que dans le golfe de (jas- » cogne les vents de mer sont i^his fréquents et plus r> violents que ceux de terre, le contraire arrive sur r> la Méditerranée, dans le golfe de Lion ; les vents y^sont ici plus puissants pour refoider à la mer les y> sables qu'elle avait rejetés pendant la tempête, et les « vapeurs salines moins actives et portées à de moin- «dres distances, perpendiculairement à la plage." Ceci est incontestablement trés-savant et très-bien dit ; mais distinguo : On nous a prié de ne pas otiblier, à la page 13, que les apports faits par la mer dans le golfe de Lion sont supérieurs aux restitutions qu'elle reçoit, ce qui veut dire, pensons-nous, que les vents de mer qui poussent les vagues et les sables sont plus forts dans le golfe de Lion que les vents de terre nord et 20'^ — nord-est, qui repoussent une partie de ces sables à la mer : d'où l'on conclut à Vangmentation de la plage considérée dans toute son étendue. Rien de mieux, et, sur l'invitation qui nous en est faite, nous prenons note du passage en ques- tion ; mais combien nous sommes perplexe , page 23, ligne 17, quand M. l'Ingénieur en chef vient nous déclarer le contraire de ce que nous avions précé- demment noté sur ses intances, alors que, parlant du golfe de Gascogne, il nous dit : « Dans le golfe de y Lion, les vents sont plus puissants pour refouler à la «mer les sables qu'elle avait rejetés pendant la tem- r> pète " ! Essayons de comprendre. Le volume de sable des dunes de Gascogne, bien supérieur au volume des bords de la Méditerranée, doit être attribué à la violence des vents du large ; absolument (bien que dans une relation moindre) comme dans le golfe de Lion, l'augmentation de la plage doit être attribuée aux apports de la mer, su- périeurs aux restitutions que lui fait le vent. Alors la plage augmente chez nous. (Nous nous sommes permis d'affirmer le contraire.) Ou bien les vents, ^j/ws puissants chez nous, refoident à la rne^' les sables qu'elle avait i^ej étés pen- dant la tempête ; et dans ce cas, si la plage ne diminue pas, elle reste du moins stationnaire : si elle est stationnaire, il lui est difficile d'augmenter. A lire attentivement le Mémoire, et en y réfléchis- — 204 — sant bien, on arrive à cette conclusion imprévue : que la plage, sous l'influence d'un phénomène connu et défini par M. l'Ingénieur, augmente en même temps qu'elle dmiiniœ, ou bien augm,ente en même temps qu'elle reste stationnaire ! Ce qui jusqu'à pré- sent a été considéré comme contradictoire et, consé- quemment, inadmissible. Hier encore on pouvait librement circuler à la plage, et les journées délicieuses que nous y avons passées nous font un devoir de leur consacrer un souvenir. Lieu d'arrêt entre les eaux et la terre ferme, la plage est le rendez-vous de tous les gibiers, depuis le flaman rose, le héron de toutes variétés, le cygne et l'oie sauvage, jusqu'à la bécassine, la caille et, passez-moi le mot, le cul-blanc. Le lapin foisonne dans les dunes de sable ; mais la plus véritable, la plus amusante, la plus productive et celle qui dure le plus longtemps, des chasses sur la plage, c'est à coup sûr celle du canard. Où sont ces journées bénies de l'hiver, bénies du chasseur s'entend , où le ciel , bas et gris , laisse perler aux poils de la barbe les gouttelettes de sa rosée; où le grec (S.-E.) souffle par rafales ses impé- tueuses bouffées ; où tous : col-verts, bonis, queues- girondes, pioulaïres, cabrelles,etc., tous les habitants emplumés de l'étang, fatigués du ballotage de la vague, se décident au grand parti d'aller plus loin. Attention là-bas ! Voyez-vous cette ligne noire qui - 205 - rase les flots ? ce sont eux. Ne bougez pas ! Silence dans votre affût : le moindre geste, et l'aile de ces fins voiliers vous les rejette à cent mètres sous les feux du poste voisin. Mais vous êtes bien placé ; ils montent sur vous. Du calme ! Voyez leur collier noir et leur poitrine blanche ; ils sont huit ou dix tout au plus. C'est grosse chasse. Ils rament en désespérés, biaisant dans le vent, et le sifflement de leurs ailes s'entend au loin. Qu'ils sont gros dans la brume ! A vous ! Ne trem- blez pas; tirez, coup droit en chandelle. Feu ! Bravo ! Ne regardez pas dégringoler cette pelote : vite, un petit coup à gauche, la fumée a passé ; votre seconde cartouche en dos : parfait. Il n'est que désailé , celui-là ; mais Médor connaît que cette be- sogne le regarde. Changez vos cartouches ; le temps presse ; un superbe col-vert est à vos pieds ! Pare ! pare ! Une autre ligne noire s'avance ; celle- ci a cinquante mètres de long. Ils sont bien là une cen_ taine; mais les gaillards sont fins : ils savent par cœur le nombre et la disposition des affûts, par cœur aussi la portée des armes de ceux qui les occupent et ce qu'on peut attendre de leur coup d'œil. Ils rasent le fusil du chasseur novice , dont la décharge ride les flots ; puis, comme si un seul instant ils avaient redouté son plomb inoffensif, les rusés, d'un coup d'aile droit dans le vent, montent à cent mètres, et viennent passer sur votre tête, narguant votre coup d'œil et votre Lefaucheux. 26 - 206 — Ceux-là, ce sont les bonis, les bouis toujours gras, fins plongeurs, mangeant là où les autres meurent de faim; fins voiliers, volant toujours haut, fins salmis si la cuisinière sait les faire et si le chasseur a tiré assez en avant. Pendant une demi-heure, c'est le plus amusant défilé qui se puisse voir, le plus fécond en lazzi qui se puisse imaginer. Un canard blessé par vous va se faire assassiner par un voisin, qui vous l'escamote ; par contre, Médor vous apporte quelque mutilé qu'il a vu de loin se débattre dans les flots. Entre temps, dans la nue, passe l'accent circonflexe des grues, dont les cris rauques agacent votre chien. Mais l'humidité pénétrante de la brume nous a traversés; nos jambes sont engourdies. Allons nous réchauffer à la maison de ce brave pêcheur des Ares- quiés, ou bien aux postes de douane, également hos- pitaliers, des Aresquiés et de Morin. Nos chasses fructueuses à la plage ont toujours eu lieu par le mauvais temps. Il vente S.-O. ; la mer est grosse et déferle avec bruit. Venez avec moi. Quels sont ces gens hâtifs, ployés sur l'amarre de leur canot, qu'ils traînent dans le canal ? Un ou deux fusils sont à la poupe ; au milieu de la barque un couffin *^ qui semble gonflé de mystère, car les têtes les plus étranges laissent passer de ses bords leurs * Sorte de cabas fort usité dans le Midi. t-* 1 o - 207 - longs becs et leurs longs cous ] à la proue , un sac de chasse généralement en cuir et un petit baril de huit à dix litres de vin. Nous arrivons, et le mystère s'explique. Ces Messieurs sont des Cettois. Le Cettois, Fronti- gnanais d'origine, a voué un culte fanatique à la plage, qu'il considère un peu comme son bien, sa propriété, sa chose. Le Cettois va chasser la cimhelle. Voyez son flegme : il ouvre son fameux couffin, et, sous vos yeux étonnés, défilent toutes les variétés d'échas- siers et de longirostres dont le Créateur a peuplé les étangs et les marais : les uns empaillés grossière- ment, les autres taillés dans du liège et peints, tous ayant pour pattes un bâton planté dans le ventre. Nous avons vu au poste des Aresquiés, où ils sont restés longtemps, des appeaux de courlis confection- nés avec des cerceaux de crinoline, recouverts d'une étoffe fanée de jupon d'indienne à petites fleurs; cela faisait peine à voir, et nous étions indigné contre le chariot, qui se laisse prendre à si grossier men- songe. Le Cettois railleur avait poussé l'ironie jus- qu'à donner à l'œuvre de ses soins son tuyau de pipe en guise de bec. Nous devons avouer que le courlis ne s'en aperçut pas, et s'approcha sans horreur de cette caricature de lui-même, ce qui fut cause de sa mort. Le chasseur a choisi une petite pointe s'avançant dans l'étang ; il y dresse son affût, une sorte de tou- — 208 — relie de 1 mètre de haut aA^ec un créneau à 0*" 50 c, où s'allonge le canon de son fusil; à 20 mètres du créneau , l'eau lui vient à la cheville, et le cimhel- laire y plante l'échiquier de ses appeaux. En première ligne , le bernadasse (héron gris) ; celui qui a un flamant ne manque pas de l'y mettre ; après le chariot (courlis), la charlottine, la cavi- dourle, etc., etc., tous bec au vent (c'est essentiel), et d'autant plus rapprochés du rivage que la lon- gueur de leurs jambes diminue; tous alignés et es- pacés, de sorte que le plomb , mortel pour ceux dont ils se prétendent l'image, puisse faucher entre leurs rangs muets sans les atteindre. Ces précautions prises, le chasseur se couche à plat ventre dans son affût ; et, du sien et de tous les affûts voisins, partent les cris les plus bizarres, les sif- flements les moins connus ! Chaque chasseur s'efforce de tirer de ^on larynx le chant de l'oiseau ou des oiseaux dont le sosie a été planté par lui dans les eaux peu profondes, et de la nue descendent à ses cris les pauvres dupes, qui n'hésitent pas à venir prendre place au banquet où les convient ces bons amis, pa- raissant si heureux d'être au monde. Le traître chas- seur ne leur donne pas le temps de s'apercevoir de leur méprise : boum ! ! ! et dix , douze d'entre eux sont étendus sur les flots, voire souvent moins ; car bien des écloppés exigent une chasse désespérée avant de se laisser happer, quand ils n'échappent pas, perdus pour la cuisine du chasseur et acquis - 209 — à celle du cormoran, qui ne lui en saura nul gré. L'essentiel dans cette chasse (amusante jusqu'à un certain point , quand le gibier abonde, car nous avons horreur de ces guets-apens) , l'essentiel est d'avoir un bon cinihellaire, et c'est le lieu d'inscrire aux tables de mémoire le nom d'un héros, que ses glorieux rhumatismes obligent à se reposer à l'om- bre de ses lauriers. Nous avons nommé Ferrier (de Vie), dit le Capelanou; Capelanou, nom magique, qui faisait et qui fait encore trembler les cimbellaires, ses concurrents ; Capelanou , que nous avons vu , tellement son appel est admirable de naturel et de vérité, arracher une flotte de chariots du milieu des appeaux d'un Cettois endormi dans son affût, et les amener par ses paroles engageantes à se poser de vaut son fusil. Le premier coup en abattit sept, et le second arrêta au vol le huitième courlis, qui se sauvait à grands coups d'aile, criant comme un perdu : tchou witt ! tchou witt ! Les flaques d'eau et les fossés de la plage sont par- fois peuplés de bécassines et de poules d'eau ; heu- reux le chasseur qui a deviné leur jour de passage ! La sarcelle y est commune; souvent on y rencontre le canard. La caille, la caille retour d'Afrique, la caille verte, comme on dit, a la mauvaise habitude de s'arrêter sur nos plages, où, malgré la prohibition, on en fait un massacre contre lequel nous pouvons nous élever d'autant mieux, que notre fusil n'a jamais mis en — 210 — joue une seule de ces douces bestioles, au moment où elles nous font l'honneur de rentrer au bercail, nous forger par quinzaines nos cartouches du mois de septembre. Ceci nous rappelle qu'il y a trois ans, tin avril, le vent de mer soufflant depuis le matin, une forte averse nous obligea de nous gîter dans la première cabane de douanier que nous rencontrâmes : Or que faire en un gîte à moins que l'on ne songe! Notre chien nous avait arrêté quelques cailles, et nous supputions en rêvant ce qu'un coup de fusil, tuant la féconde petite bête à l'époque où nous nous trouvions, enlevait de jouissances à vingt chas- seurs consciencieux, pour donner à un impardonnable gaspilleur la satisfaction d'avoir abattu un oiseau à viande échauffée, immangeable ! ! . . . Quand un sourd grognement de notre chien attira notre attention au dehors, et qu'un spectacle étrange nous frappa Quelque chose de grand et de nu, comme un géant flamant rose, s'avançait lentement sous la pluie qui tombait à flots, allant de ci de là. Tout à coup un coup de feu tonna ; un chien rapporta quelque chose, et le flamant rose^ ayant rechargé son arme, recommença sa quête incompréhensible. Nous l'entendîmes, sous l'averse, tirer sept ou huit coups de fusil ; et, piqué au jeu, trempé jusqu'aux os, nous arrivâmes au poste des Aresquiés en même temps que lui. — 211 — Devant un bon feu, au milieu des éclats de rire des douaniers ébahis, un Cettois, long comme une perche, vêtu seulement de sa casquette et de ses bottes, tirait gravement de son sac chemise, blouse, pantalon et gilet, et, plus gravement encore, les vètissait tour à tour ! ! ! Gribouille était dépassé de cent coudées. Notre homme , à la première goutte de pluie , s'était dés- habillé , avait mis ses effets dans son sac de cuir, à l'abri de l'averse ; et, flegmatique comme il convient, il avait, sous une pluie battante, tué quatre cailles dans le simple appareil que vous savez ! Aujourd'hui, déchue de ses splendeurs passées, la plage qui appartenait à vos pères — la plage des Volces Arécomiques , des Gaulois Narbonnais , ci- toyens romains; la plage qui se souvient de ces grands noms, Annibal, Domitius, Charles Martel, et Richelieu — cette plage nous est interdite à moins de 5 fr. par an et par tête de chasseur! LES ÉTANGS 27 LES ETAN&S Les étangs des Volces {staf/na Volcarum), con- temporains de la formation de la plage, datent comme elle de temps si reculés , qu'il faut demander à la géologie le mouvement qui a soulevé nos mon- tagnes pour remonter vraisemblablement à leur for- mation . Du temps de Pline, les boeufs et les chevaux blancs que l'on rencontre sauvages encore dans la Camargue paissaient en liberté les immenses prairies naturelles de leurs bords marécageux, et la pèche abondante de leurs eaux peu profondes donnait aux habitants de la rive un aliment sain et facile à se procurer. Vers 752, Pépin le Bref, appelé en Septimanie par plusieurs seigneurs qui préféraient sa domination à celle de Waïfre, duc d'Aquitaine, dont ils étaient me- nacés, s'empressa de saisir cette occasion de réunir ^ 216 — la Septimanie à la couronne de France, en retour de sa protection contre les Sarrasins. Nous retrouvons Maguelone, détruite en 737 par Charles Martel, relevée de son désastre , puisque son seigneur la cède à Pépin et se soumet à son obéis- sance. Le roi lui conserva son titre de comte et sa comté, à lui comme aux autres seigneurs ; mesure de la plus adroite politique, qui, quelque temps après, attachait à la France la province tout entière. Ce comte de Maguelone, dont l'histoire a perdu le nom, est cependant célèbre de la célébrité de son fils, puisque notre saint Benoît lui dut le jour. L'ab- baye d'Aniane , que le pieux grand homme devait faire monter à un si haut degré de vertu et de gloire chrétienne, en fait foi dans ses archives '. Le iils du comte de Maguelone , devenu abbé d'Aniane, apporta sans doute à ses successeurs, dans la direction de son monastère, les droits que son père avait eus sur nos étangs : c'est ainsi que nous voyons deGaucelin, abbé d'Aniane, vendre à Guillaume VIII, seigneur de Montpellier, par bail à fief, les droits de l'abbaye sur l'étang et la terre de Frontignan. C'était un singulier seigneur que ce Guillaume VIII, non moins singulier que ce roi d'Aragon Alphonse II, auquel l'empereur d'Orient Manuel Comnène avait accordé en mariage sa fille Eudoxie. La princesse ' \'il. Saiirl. Rcncdir. Anian., »à Saint-Sulpice, au confluent des rivières du Tarn »et d'Agout; mais la peste, qui était dans ce lieu, w l'obligea de déloger et de revenir à Buzet. w Or le premier volume des délibérations conservé à la mairie de Frontignan porte, à la date du 17 juillet 1629, que les députés qui avaient été envoyés à Monseigneur de Montmorency pour obtenir la décharge d'un logement de troupes, décharge obtenue d'ailleurs, reviennent avec l'ordre express, donné à eux par Monseigneur, de faire préparer les joustes — 233 — qu'il s'est obligé à faire voir à Monsieur le Cardinal, mesme de les faire avec toutes les circonstances et le plus grand appareil que faire se pourra. Le consul Pierre Reynard était alors, ainsi que M. le juge Hugues Sicard et six habitants choisis par eux, député à la cour du roi , en ce moment à Montpellier, pour solliciter de Sa Majesté : Y La réforme des tarifs pour le courretage; 2" La remise du fief; 3° Le don des plages ; 4° Le privilège de n'entrer point de vin étranger dans la ville. Le rusé consul, pour mieux réussir dans son entre- prise, ne trouva rien de mieux que d'y intéresser- Monseigneur de Montmorency, lequel, pour courtiser Richelieu, imagina de donner une fête nautique au cardinal, alors bien près de la toute-puissance, et qui promenait si impitoyablement le glaive de la justice sur les grands vassaux turbulents et félons. Nous savons, bien que nos annales soient muettes à ce sujet, que la supplique des consuls n'aboutit guère, puisque les plages et le fief restèrent entre les mains du roi et que rien ne prouve que l'entrée des vins étrangers ait été prohibée dans la ville. Dès la réception du message, le conseil s'assemble en toute hâte et décide do faire préparer les joutes avec le plus grand soin et le plus somptueux appareil. La communauté fait faire des habits de fête pour vêtir les marins qui doivent figurer dans cette réjouis- — 284 — sance; on s'empresse de réunir les barques pour les réparer, les peindre à neuf et n'y espar gner rien. Bien plus, on montrera à Son Eminence le plaisir de la pesche sur Festang et sur la raer, le tout à la prudence desdits consids. Aussi comme ils courent affairés, ces vigilants con- suls : du port, où l'on prépare les barques, en la salle commune, où les tailleurs accommodent au dernier goût d'alors les jouteurs; puis de là au domicile du sieur Pascal, sa maison étant la plus belle de la ville*. Enfin le jour est venu: la trompette des hérauts d'armes résonne au-devant du rempart, et celles des milices de la ville leur répondent derrière le pont-levis. Sous la porte de Montpellier, nobles et fiers, se dressent les quatre consuls, étincelants dans leur robe de pourpre en panne de Vérone et sous leurs bonnets de même couleur et de même étofi'e; derrière eux, leurs conseillers et les anciens; au milieu d'eux tous, la bannière fieurdelisée, tenue haut et ferme, au prix des plus grands sacrifices. Une brillante escorte chevauche vers le pont-levis; les consuls s'avancent tête nue et s'inclinent devant un cavalier vêtu de rouge, lui aussi ; la pourpre ' L'ancienne maison du docteur Pascal, la plus remarquable et la mieux conservée des anciennes maisons de Frontignan, fait face à la tour de l'Horloge, sur la place; elle appartient à MM. Anthérieu frères. — 235 — romaine, qui retombe en plis relevés sur la croupe de son cheval, laisse voir ses bottes fauves à éperons d'or, et l'épée victorieuse qui vient de dompter la Rochelle pend à son côté. Ce cavalier pâle et maladif, à la fine moustache, qui répond avec tant d'habileté aux consuls d'une ville boulevard de la foi; ce cavalier si frêle est prince de l'Eglise et ministre tout-puissant du roi de France : c'est Richelieu. Monseigneur de Montmorency, gouverneur de la province, l'accompagne. Le cardinal, entouré des consuls et suivi de ses gardes du corps, pénètre dans la ville, au milieu des vivats d'une population enthousiaste, qui, du haut de ses murs, voit à travers ses oliviers et ses vignes briller les armes et les uniformes de la nom- breuse suite du conseiller intime de Louis XIII. Le lendemain, grande fête : les barques chamar- rées sortent du port et s'éparpillent dans l'étang. Celle de la commune brille entre toutes; et, sous un dais royal, la pâle figure du premier ministre suit avec attention les évolutions de l'escadrille des jou- teurs. Une barque chargée de musiciens vient, à petite distance, après celle que montent le cardinal, le gou- verneur et les consuls, faisant entendre les plus gra- cieux accords entre chaque passe d'armes du tournoi nautique. Puis viennent les pêcheurs, armés de tous les engins si divers qui leur serVjnt à capturer le poisson. Inutile de dire que ce jbur-là les mani- — 236 — guières avaient fait bonne pêche. Mais Son Emi- nence parut surtout frappée de la pèche du muge avec le filet attaché à des roseaux, que Ton jette en cercle sur l'étang, et que nos pêcheurs appellent lou cannas. L'escadrille toucha la plage, et le houillèche fut jeté et tiré sous les yeux du grand homme qui bâtis- sait alors dans son esprit profond la solide grandeur et l'unité de la France. Après quoi l'on revint au port avec le même céré- monial et au milieu du même enthousiasme de la part de la population. Heureux consuls, Son Eminence daigne les féli- citer, les remercier avant de leur dire adieu ) et le lendemain de la fête, du haut des crénaux de la porte de Montpellier, les Frontignanais voyaient briller, s'éloignant à travers leurs oliviers et leurs vignes, les armes et les uniformes des derniers soldats de la suite du cardinal. Le silence et le calme succèdent à cette agitation. Alors, le 5 août 1629, le docteur es droit M. Pascal, celui dont le beau logement a eu l'honneur insigne de recevoir l'arbitre de tant de destinées, M. Pascal en personne se présente au conseil. Il lui déclare qu'il a souffert de grands soucis ou grands préjudices, pour avoir eu chez lui le cardinal, dont les chevaux lui ont dévoré douze ou quinze quintaux de son ou d'avoine, ce dont il demande à être indemnisé. Les consuls s'empressent de satisfaire une demande cd (=; -g o f-, P-. pci — 237 — si juste, et la commune solde à M. Pascal le compte de ses dépenses. Mais les dignes consuls, eux aussi, seront indem- nisés de leurs fatigues. La robe rouge, dont Riche- lieu disait lui-même qu'il couvrait toutes choses, cette robe rouge n'aura pas été reflétée en vain par le miroir de nos étangs; et quand l'an d'après, en août 1630, le roi Louis XIII instituera à Frontignan un des sept sièges d'amirauté du Languedoc, la ville entière se mettra en fête et reconnaîtra dans l'édit royal un souvenir de l'hôte illustre que ses pêcheurs avaient amusé l'an d'avant. Il résulte clairement des deux délibérations que nous venons de citer que Richelieu vint à Frontignan entre le 17 juillet et le 5 août 1629, et non point en mars ou en avril, comme paraissent le croire les sa- vants bénédictins, puisque les archives communales, qui n'auraient pas manqué de consigner le fait, sont muettes sur ce point. Nous avons cru intéressant de vous donner une peinture du costume de l'époque ; nous y joignons, comme texte explicatif, une délibération dont la pré- cieuse originalité n'échappera à personne. «Anno incarnationis Domini, millésime trescente- simo octogintesimo quarto, en die undecima mensis decembris, que sint dies dominica, domino Carolo, Dei gratia rege Francorum, régnante. Noverint uni- versi et singuli présentes pariter et futuri : Quod — 238 — existentes et personaliter constituti opis eccle- sise Sancii-Pauli caslri de Frontiniano, Magalo- nensis diocesii. »In presentia mei notarii et testorum infrà scripto- rum, videlicet providi universitatis, sunt : Jacobus Garrum, Bernardus Opyrum, Petrus Combem et Jacobus Englesem^ cosules dicti castri Frontiniani pro anno presenti. Qui cosules dixerunt quod ipsi fecerint hodie paulo ante divina major missa celebrabat, et major pars po- puli dicti loci ibidem venerat ad audictu, dicta divina dicereper dominumGuillehmum, amatum capellanum curatum dict?e ecclesite Sancti-Pauli. — (Sic) : Que toi cap dostal remazes après la messa al coselli, car los cosoles volon tractar alcunas causas que seran bonas e profeckahlas a tota la universitat ciel dit luoc. — Ad c[uod consilium tenendum fuerunt présentes pro- vidi universitatis : Franciscus Rodilhon. Guillelmus Herum, Jacobus Durantum, Jobanne.s Pascalis de Arcu, Magister Renaudem Folcberem, catallanus in medecina, Renaudus Comitis, Guillebiius Gallion, Messirs JACOB GARRUN (ir Consul 75S4.I — 239 — Jacobus Maymone, Bernardus Stephanus, Martinum Perussole, Jacobo Englesii major; Et deinde: Gillelmus Durane, Renaudus Garnii, Petriis Audibert, fusterno, Petrus Balegoni Junius, Bernardus Pugne et Astruc-Petrus Calmesii, Guillehmum Garlate, Jacobus Gervasii, Jacobus Bongrandis, Johannes Calmesii (al copat), Franciscus Pascalis, Renaudus Pugne, Petrus Anglesû, Jacobus Pugne (al botano)^ Anthonio Catalam, Petrus Frongator^ Johannes de Ortolis et Pommis, quae tostum dicti castri Frontiniani. r> Qui cosules dixerunt et opposuerunt coram super nominatis. Hodie fuerunt quindecimum dies elapsi que sint dies dominica, ipsi etiam tenuerunt consi- lium générale denuntiatum prout suprà dictum est, per dictum capellanum curatum, in quo consilio sint — 240 — major, sive sanior pars hominum dictée universita- tis dicticastri. Etiam dicto consilio sint tractatum et accordatum quod a modo cosules dicti castri Fronti- niani non fasciant nec ausi facere vestes sive rampas pro dicto consolatu nisi de panno dicto de Veronis, seu de alio panno ejusdem valoris et non ultra. Et quod in ter pannis et folratiras non ponant seu ex- pendant ultra quadraginti libras turonense, seu ultra quadraginta francos auri dictae universitatis, inter omnes quatuor cosules. Et si forsan aliqui contrarii fecerent temporibus futuris seu facere présumèrent, quod absit. w Voluerint omnes supernominati unanimiter et concorditer quod quibus illas quod contrarium face- ret seu contra presentem ordinationem veniret, quod intimât pena, viginti quinque librarii turonense pe- narum. De qua pena sit medietas curare predictis castri Frontiniani, et alia medietas opibus eccle- siae Sancti-Pauli, antedicti castri Frontiniani. "Et soluta dicta pena semel vel pluries per illas qui contrarium facerent si comiti contingeret quod absit. Qui dictis statutis seu dicta ordinatio nihil- ominus remaneat perpétue in sua firmitate et virtute, et voluerunt qui hec presens instrumentum possit et voleat dictari, corrigi, reffici, rescribi et emendari productu et non productu ad dictam et consiliis sa- pient, sed tamen substancia in aliquo non ajutata et ad majorem firmitatem habendum interponit. De- cretii cur presentis castri Frontiniani, sequentibus — 241 — omnibus premissis, dicti consules supranominati pe- tierunt, nomine dicte universitatis dicti castri Fron- tiniani, fieri publicum instrumentum per me nota- rium infra-scriptum; secta fuerunt hœc in supra dicta domo inqua est geri consuetum consilium pro con- sules dicti castri Frontiniani, et fuerunt in premissis testes présentes, videlicet : Petrus Pomerii, Andréas Guitardi, cultor Montispessulani, Et Guillermus Clerici , macellarum , castri de Porsano, Et ego Petrus Garinus, notarium dicti domini nos- iri Francorum régis, publiciis qui depredictis recqui- situs notam recepi. Quod post que eodem anno quo su- pra et die duodecima dicti mensis decembris (dicti con- sules supra nominati existentes in curia dicti castri Frontiniani coram provido viro Jacobo Duranti), locumtenente nobilis viri Johannis Voyssen, cas- tellani et baiili diti castri Frontiniani, pro dicto Domino nostro Francorum Rege, prout de eis locum- tenentia constat, quod a publico instrumente in nota supra dicto, subscripto et signato ut in eo legitur ; manu et signe magistri Theobaldi Georgii, notarii Régis, habitatorem Montispessulani, quibus: Anno Incarnationis Domini millésime trecentesimo octua- gesimo tertio, et die quarta mensis decembris; qui con- sules dixerunt et notifficaverunt eidem domino locum- tenenti supra dicta ordinationem, seu statutii, per — 242 - eos facta. Sine facta requirentes supplicando eidem domino locumtenenti, quare auctoritatem suam ju- diciaria et dicte curie Frontiniani interponere vellit, pariter etdecretii, ad majorera premissarii firmitate habenda. Et dictus dominis locumtenens auditur requisitionem et siipplicationem dictorum consulimm fore conformas juri, et rator attente etiamqne dic- tam ordinationem dictum statutiim erat comodiosam seu comodiosum et valde utile universitati predicti castri Frontiniani. Ideo sedens pro tribunali in dicta curia more majorum auctoritatem suam judicariam et dicte curie Frontiniani interposuit pariter et decre- tum. De quibus dicti consules nonne universitatis pre- dictee petierunt sibi âeri publicum instrumentum per me notarium supra et infra scriptum. Acta fuerunt hœc a paraphe nostra in dicta curia Frontiniani, dicte domino locumtenenti pro tribunali sedente in eadem, in presentia et testimonio : Pétri Pomerii, sezilherii; Bernardi Duranti, cultor vitiis; Stephanii Bayrac, de Mesna, Et Jacobi Andrée, de Frontiniano. Et plurimi aliorii et mei Pétri Garini, notarii publici antedicti, qui de predictis requisitus notam recepi vice cujus et mandate. Ego Pet rus de Destiali, clericus conenarius diocesii publicus, a publica et impartiali auctoritati notarius substitutus et juratus dicti no- tarii, et dicta ejus nota non cancellata non viciata — 243 — nec in aliqua sui parte suspecta, hoc instrumentum coram publicum hic sumpsi scripsi fideliter et extraxi voluerunt. Et egoexco Petrus Gairin, notariuspubli- cus interdictus, hic me siibscripsi et signo meo soluto sequenti signatum in testimonium prémisse. » C'est dans l'église Saint-Paul de Frontignan, à l'issue de la grand'messe, que se tient, le 11 dé- cembre 1384, la curieuse délibération qu'on vient de lire. Son latin et son patois ne nous semblent pas de- voir être traduits, tant ils se lisent facilement en français , sous leurs terminaisons burlesques : n'en conservons donc que l'objet. Ainsi les quatre consuls sont autorisés à dépenser, pour l'achat de panne de Vérone ou autre, dont ils se feront faire des robes, la somme de quarante livres tournois, ou quarante francs d'or, et rien de pltis, sous peine de vmgt- cinq livres tournois d'amende, dont la moitié sera affectée à l'entretien du château de Frontignan, et l'autre moitié versée dans la caisse de l'église Saint- Paul. Chaque consul était donc tenu de se procurer pour dix livres un costume d'apparat. Nos édiles d'aujour- d'hui trouveraient la somme bien maigre : le prix de leur seule écharpe (qui n'est pas un vêtement) eût suffi jadis à l'habillement fastueux de deux consuls. A peine le cardinal de Richelieu nous a-t-il quittés, que les étangs et les palus courent les plus grands dangers. Alors apparaît pour la première fois, dans - 244 - les archives que nous avons consultées, cette opinion, que les étangs et les palus dégagent des miasmes délétères, faisant naître chaque année des maladies jugées contagieuses et qui décimaient les habitans. (Registres des délibérations des Etats.) Il nous suffira de dire, pour donner à cette opinion toute sa valeur suspecte, qu'elle était patronnée et mise en avant par des gens qui sollicitaient la pro- priété de ces marais à la condition de les assainir , faisant si grand appareil de servir avant tout l'in- térêt public, qu'on ne put se défendre de croire qu'ils n'eussent quelque zèle de leurs intérêts parti- culiers. C'est du moins ce que constatent plusieurs délibéra- tions des Etats du Languedoc, dont nous allons ex- traire les passages les plus saillants. Vers 1664, un nommé Brun ou Lebrun s'imagina de rétablir un ancien canal entre Beaucaire et Aigues- Mortes et de le conduire jusqu'à Sette ou Cette (les deux s'écrivaient alors). Le projet était à coup sûr méritoire et utile à tous les points de vue; mais l'inventeur eut le tort de prétendre^ au moyen de son canal, transformer en plaines fertiles et saines, en riantes prairies, les fé- tides marais de cette partie du Languedoc. Ces conséquences du projet émurent les riverains. 11 va sans dire que le sieur Brun réclamait la pro- priété des marais assainis et cultivés; et, malgré l'ap- probation royale, le plus mauvais accueil fut fait par — 245 — les Etats aux projets du sieur Brun, qui furent re- poussés à l'unanimité par Nosseigneurs les membres du conseil des Tiers-Etats en la province de Lan- guedoc. On lit à ce sujet, dans le registre des délibérations des Etats, année 1665, le passage suivant: «Le sieur Brun, blessé toujours de la fantaisie "de faire un canal au dessoubz de Beaucaire jusqu'à "Peccais, quoique cette proposition ait été rejetée par » cette assemblée comme une chose très-préjudiciable y> à la province, n'a pas laissé, par importunité, d'ob- » tenir une nouvelle déclaration sur ce fait, ayant cer- y> tainement eu au conseil la révocation qu'il lui plust j» demander aux députés de la province, laquelle fut r> enregistrée au parlement de Tholose, où il poursuit » de nouveau la provision d'y travailler, appuyé, à ce w qu'il dit, de personnes très-puissantes dans la pro- » vince pour lui faciliter son entreprise ; sur quoi il a " été unanimement délibéré qu'il sera poursuivi arrêt » au parlement de Tholose, portant défense, tant audit » Brun qu'à tous autres, de s'imposer et d'entreprendre «ledit travail, comme ayant été vérifié très-préjudi- r> ciable aux habitans de cette province. Nous lisons plus loin dans ces mêmes archives : « Sur les requestes présentées aux Estats par les » consuls et députés des villes de Montpellier, Nismes, y> Beaucaire, Fourques, le Caylar, Aymargues, Mas- 31 ._ 246 — r> sillargues, Saint-Sauveur-d'Aigouze et autres lieux V voisins des palus et marais, depuis la ville de Beau- wcaire jusque au lieu de Mauguio, contre ce que le «nommé Brun, qui avait ci-devant traité avec le Roy »de la construction du nouveau canal du Rosne et "dessèchement des marais, depuis la dite ville de «Beaucaire jusques à la mer, soubz l'appui de quel- «ques personnes de qualité, tasche de surprendre r> le consentement des plus faibles habitans des dits r> lieux et les moins intéressés, pour avoir prétexte de » demander aux Estats la révocation des délibérations » précédentes, afin de pouvoir dessécher en toute H- r>hertè les palus et marais desdites villes, qui est le r> domaine le plus utile qu'ils aient, et duquel ils » retirent plus d'avantages que du meilleur terroir V labourable, comme estant le pasturage où sont plus » de cent mille bestes servant à la culture des terres, r> au lanifice, à la formation des boucheries, etc. »Et que si quelqu'un jugeoit à propos de faire le «dessèchement de leurs marais, ils ont droit de le 5» faire, primativement à tout autre, sans qu'ils puis" » sent être contraints par qui que ce soit de bailler y> leurs biens pour accommoder un particidier et lui «préparer un noble et ample domaine au préjudice «de trois diocèses de la province, etc. « Requièrent qu'il plaise à l'assemblée de conti- «nuer sa protection, puisqu'elle en a fait sa cause « propre, et confirme l'arrêt du conseil du 23 février « 1046, qui révoque tant le traité fait par ledit Brun — 247 — y> avec S. M. , l'année 1644, que l'édit fait sur ce sujet, «comme aussi une déclaration du Roy, du 3 janvier » 1647, portant pareille révocation, qui a esté enre- » gistrée au parlement de Tholose, laquelle révoca- » tion a esté pareillement accordée par un des articles y> soubz lesquels les Estats firent don de trois millions ^'à S. M. " Il est impossible, la question elle-même étant ré- servée, de ne pas admirer avec quelle indépendance la hau^e assemblée du Languedoc contrôle souve- rainement les actes souverains qui touchent à ses intérêts. La violence bientôt va prendre part à cette lutte ; en effet, le 22 novembre 1656, toujours d'après les registres des Etats, «Le sieur de Joubert, syndic général, a dit qu'en «conséquence de plusieurs délibérations des Etats, «même de celle de l'année dernière, du 8 décembre, y> qui porte qu'on s'opposera par toute sorte de voies «à la construction du nouveau canal et desséche- » ment des marais que le nommé Brun prétend faire «depuis la ville de Beaucaire jusqu'à Aiguës -Mortes, «le syndic et habitants de la ville et diocèse de «Nismes ayant eu advis qu'on avait déjà commencé le «travail avec tant de précipitation et diligence, que «le dit Brun occupait tous les jours plus de quatre ou «cinq cents ouvriers ; qu'ayant esté sur les lieux, «saisis de l'arrêt du parlement de Tholose, du 17 du — 248 - «mois de septembre 1655, qui porte défense, tant y> audit Brun que autres, de s'entremettre au dit tra- wvail à peine de 4,000 livres, lequel arrêt il avait » fait signifier à plusieurs ouvriers qu'on avait trouvés » travaillant au dit canal, estime qu'il est de la pru- wdence de l'Assemblée de mettre fin à cette affaire, r> qui trouble le repos de la province depuis plusieurs "années, en ordonnant au syndic et habitants de " Nismes et autres de la province de tenir la main à r> l'exécution des arrêts du Parlement et de combler >» incessamment les fossés que le dit traitant fait faire. » Sur quoy il a esté arresté que les délibérations »» ci-devant prises sur ce sujet seront exécutées, et »»ce faisant, que les dits habitants dudit diocèse de « Nismes combleront le travail qui a esté commencé, y> aux frais et dépens de la province, lesquels seront «avancés sur le fonds de l'étape par le syndic du «diocèse et remboursés par les dits Etats sur la cer- «tification de M. le marquis de Cauvisson, qui sera « remercié des soins qu'il prend pour empêcher u7î si y> ruineux et préjudiciable dessein... « L'Assemblée exhortant les habitants du dit dio- «cèse et autres de la province de faire tous leurs «efforts pour se saisir de quelques-uns des partisans « du dit canal j et mesme pour le procès leur estre «fait à la diligence du syndic général, comm.epertur- « hateurs du repos public. « Si ont lesdits Etatsdélibéré et arresté que S. A. R. « sera très-humblement suppliée de vouloir empescher - 249 — «que ceux qui commandent les armes du Roy, sous «son autorité, dans la ville d'Aiguës -Mortes, ne » donnent appui et main-forte aux partisans et entre- » preneurs du dit ouvrage. » Enfin «Le sieur Beauchamps, syndic du diocèse de «Nismes, ayant demandé d'être ouï dans la compa- » gnie, a dit qu'en conséquence de la délibération de «cette Assemblée, du 'Z2 du mois dernier, qui le «chargea, conjointement avec les habitants du dio- «cèse de Nismes, de travailler à combler le travail r> que le partisan du canal a fait et faisait faire tous «les jours, il aurait esté sur les lieux, avec un grand « nombre de fusiliers et beaucoup de ses amis pour « s'opposer au dessein que le partisan avoit de l'em- « pêcher, à quoi il auroit travaillé avec tant de succès « qu'il avoit fait combler tout le dit travail, ce qui s'est » trouvé justifié par une certification de M. le marquis «de Cauvisson, comme aussi du nombre des gens « qu'il a esté obligé de prendre. « La question momentanément enterrée par la bêche des ouvriers du sieur de Beauchamps remuera bien des fois encore sa couche de vase et d'argile avant de sortir, comme autrefois Lazare, victorieuse du tombeau. Nosseigneurs des Etats ouvrent un œil vigilant sur le sol palustre du littoral, et, chaque fois qu'une tentative semble vouloir être renouvelée en faveur — 250 — de sa canalisation et de son dessèchement, leur main toute-puissante brise l'effort et anéantit les projets : ainsi en 1662. Mais le vainqueur de cette obstination acharnée de part et d'autre vient d'entrer en scène. Jean- Paul Riquet a tracé le canal du Languedoc ; le môle de Cette a vu poser sa première pierre, et le canal des Etangs, depuis Cette jusqu'au Rhône, devient pour tous d'une si évidente utilité, que la province met à le faire construire le même zèle qu'elle avait mis à l'empêcher. La question fut , par le fait, scindée en deux : celle du canal, jugée par tous d'intérêt public, et celle du dessèchement, qui, n'ayant pas le même privilège, resta sur le carreau. Elle a été reprise ardemment depuis quelque temps; on y a ajouté la question du dessalement et de la mise en culture, et l'on a comme autrefois drapé le tout dans ce sympathique vêtement : V intérêt public. C'est ainsi que nous retrouvons sur notre chemin le livre de V Amélioration du littoral, qui s'efforce de relever et de perfectionner les projets du sieur Brun, si vigoureusement gourmés par MM. des États. Nous n'éprouvons aucun embarras à reconnaître que la vase des bords de nos étangs sent horri- blement mauvais, et qu'il faut avoir le feu sacré de la chasse ou de la pêche, ou bien tous les deux réunis, pour affronter de si détestables odeurs. Ne nous en plaignons point trop cependant, puisque cette - 251 — assiduité de fréquentation des bords de l'étang et de la palus nous a permis de joindre aux causes d'exhaussement du fond de nos étangs indiquées par M. l'Ingénieur en chef d'autres causes, que la con- templation de la nature pouvait seule apprendre au chasseur aux grandes bottes , dans les longues heures d'attente où le canard refuse absolument le tête-à- tête si désiré. L'élévation du niveau du fond des étangs ne serait due, suivant l'honorable ingénieur, qu'à deux causes. — « Mais, par l'effet d'un travail incessant, le fond » des étangs s'exhausse, d'un côté, par les sables que »la mer y jette, par les graus eux-mêmes, et que les r> courants de retour ne sont plus capables de ramener, y> et de l'autre, par les limons et sables que les rivières » et les torrents y entraînent à l'autre bord, du côté "de terre, pendant les crues. r> Il y a pour nous d'autres causes, et des plus actives. D'abord la création de longues digues, coupant au beau milieu nos étangs, pour l'établissement du ca- nal qui porte leur nom ; les eaux, ainsi séparées, ne participent plus aux mouvements de va-et-vient que leur imprimait le vent, ou y participent beaucoup moins. Ce ne sont point quelques ponceaux ridicules de mille en mille mètres qui peuvent servir suffisamment à l'échange du niveau entre les nappes d'eau divisées ; et, si nous avons vu, au moment des grandes mers ou des fortes pluies, un courant violent traverser le — 252 — canal d'une rive à l'autre, souvent dangereux pour la navigation, nous avons toujours remarqué qu'à cinquante ou soixante mètres dans l'étang le cou- rant disparaissait dans la stagnation, effet du mor- cellement des eaux. A part les digues de pierre et de sable, il y a les digues de filets et de roseaux qui constituent à poste fixe la pêcherie nommée Manigiiière ; or ces filets et ces roseaux arrêtent au passage les herbes flottantes et forment de véritables barrages d'algues. Ces bar- rages s'amoncellent, les maniguières sont communes, et l'eau de l'étang, divisée en autant de comparti- ments qu'il y a de digues et de maniguières, devient dormante ou à peu près, à moins que mistral ne s'y oppose ; seul, entre tous, mistral se rit des digues et des filets. Les eaux restant stationnaires, la végétation sous- marine n'est plus inquiétée , et les herbes croissent dru, si dru, qu'un coup de mistral, cet hiver (67-68), a comblé d'herbes lacustres le canal du ponceau des Aresquiés , à ce point que la navigation a été en- travée et qu'il a fallu un grand mois de travail pour déblayer le chemin. Il y a aussi un petit bivalve qui fait des efforts inouïs pour combler les étangs et qui, plutôt que de renoncera son idée fixe, entasse par milliards de mil- lions sa coquille, en la superposant aux milliards de millions qu'ont avant lui entassés ses pères. Ce grand coupable appartient à la famille des — 253 - Cardiidés; on le nomme Acanthocardia cdvle : un vrai nom de malfaiteur, bien qu'à vrai dire il nous paraisse signifier acanthe en forme de cour co- 7nestible, ce qui n'est pas clair. Nous avons, confiant dans la sournoise épithète edule, essayé de manger V acanthocardia , et nous protestons : c'est inedide qu'il eût fallu dire^, imman- geahle. M. Gay, le savant qui a classé notre bivalve, était à coup sûr en veine de mystification ce jour-là. Si d'ailleurs son cardiidé était mangeable, on le man- gerait comme la clovisse et la moule, et sa coquille vaseuse et ventrue ne remplirait pas nos étangs. Le premier coup, le plus sérieux, à l'écoulement des eaux du littoral a été porté par le canal des EtangS;, tracé logiquement dans la plus grande profon- deur des nappes. Le pont de la Peyrade, la digue du chemin de fer sont venus diviser encore le jeu des masses liquides, et le fond de l'étang s'est sensiblement exhaussé. Le chemin de la plage terminé apportera son con- tingent , et la parcelle d'étang qui le sépare du che- min de fer serait à sec avant quinze ans dans le tiers de son étendue, si les habitants n'y allaient, pendant l'été, ramasser les engrais de leurs vignes, au détri- ment des surfaces abandonnées par les eaux. Est-ce à dire qu'il faille raser le chemin de fer, le pont de la Peyrade , les digues de nos canaux et le chemin de la plage? Non, à coup sûr; mais, ptiisque 32 — 254 — l'on recherche les causes d'exhaussement du fond des étangs^ sans doute pour y obvier, qu'on soit sobre de digues et de chaussées au beau travers des eaux. Nous voici arrivés aux phases diverses que, depuis les temps anciens, a traversées la santé publique. Ici le dossier de Frontignan est au grand complet, et le Mémoire pour l' arnèlioration réunit contre le malheureux pays les autorités les plus écrasantes, choisissant habilement dans leurs citations celles qui peuvent venir renforcer sa thèse. Nous allons es- sayer d'ébranler cet édifice, si solide en apparence, et qui, en vérité, tient à bien peu. Nous sommes loin de prétendre que l'aspiration des miasmes paludéens ne crée une situation mor- bide et ne provoque des accès de fièvre; aussi loin que de croire, avec M. l'Ingénieur en chef, qui cite M. Boudin, que les pestes, les épidémies, les fièvres, « auraient été attribuées à des importations d'outre- r> mer quand elles naissaient de la source infectée » des marais et des eaux stagnantes, dont les miasmes r> étaient transportés au loin par les ventsn ; Nous nous inscrivons en faux contre cette exécution sommaire de nos marais calomniés. C'est le contraire qu'il faudrait dire si l'on ne voulait éviter jusqu'à l'ombre de l'exagération. Avez-vous donc oublié ce qu'étaient au moyen âge les villes que vous citez % Pour Frontignan, c'étaient cinq hautes murailles entourées de fossés profonds et pleins d'eau, des rues étroites, systématiquement — 255 — tortueuses, ne laissant pénétrer au cœur de la place qu'après un circuit obligatoire et calculé^ où un en- nemi dix fois supérieur en nombre devait être écrasé. Songez à ce que devenaient les habitants, entas- sés pendant les sièges interminables de l'époque dans ces espaces resserrés, où tout est sacrifié à la loi stra- tégique. On a bien soin, dès que l'ennemi menace^ d'expulser les bouches inutiles ; mais l'ennemi se ra- vitaille au dehors, et ceux qui sont enfermés res- sentent les premiers tiraillements de la faim. On tente une sortie ; si elle est malheureuse, le dé- couragement conseille les moins braves ; on parle de capituler : les lois impitoyables de la guerre d'alors laissent peu d'espoir; et, mourir pour mourir, on résis- tera jusqu'au dernier souâie. Mais les dernières ressources ont disparu : la fa- mine est dans les remparts. Le gouverneur, un héros, préfère la mort à la honte bien honorable aujourd'hui de mettre bas les armes devant la faim. On tente un dernier effort : rien ! Que sont devenus les blessés ? Ils sont morts , morts dans des tortures qui ne peuvent être comparées à celles que vont supporter leurs compagnons d'armes survivants; on enterre à la hâte ces tristes victimes, et de leurs sépulcres à peine fermés, des aliments honteux et corrompus que re- cherche la garnison famélique, sort livide le cadavé- reux fléau du moyen âge. A l'assaut ! les braves qui tenez le blocus et avez — 256 — le ventre plein. A l'assaut! la ville est prise ; plantez votre oriflamme sur sa plus haute tour. A sac! à sac! cette rebelle qui a osé retenir vos armes victorieuses! Dem.dn les vaincus seront vengés ! Voyez cette cohue à la débandade, se trainant mi- sérablement le long des chemins ; à chaque pas un soldat tombe et roule bleui dans le fossé. Partout, sur fcon passage, les portes des villes se ferment, et quelques aliments déposés aux maladreries, loin de l'enceinte, seront les seules marques d'humanité que recevront ces glorieux d'hier. La peste a vaincu les vainqueurs^ son étreinte fa- tale, son souffle maudit, ont ployé les guerriers les uns après les autres, quel que fût leur drapeau. Bas les armes devant la mort ! Et le fléau dévastateur prend son vol, et, guidé par le vent, s'achemine à de nouvelles hécatombes. Que font en ceci les miasmes paludéens, et le des- salement et le dessèchement des marais? Les archives de Frontignan sont pleines de ces lamentables choses; elles parlent souvent des cruelles soufl'rances que la guerre impose à sa population. Jamais nous n'y avons rencontré une fois ce mot — que nous y avons opiniâtrement cherché — la fièvre. Jamais ! A dire vrai, ils avaient bien autre chose à faire, ces énergiques consuls ! et notre cœur se gonfle d'ad- miration et de pieux respect quand nous relisons — 257 — cette admirable délibération , si calme, si simple , dans la bouche de ces géants qui furent vos pères. « Propose faire société avec nos voisins long de 5» la marine, pour nous assister en cas de nécessité "les uns les autres, et se promettre la foi de nous » secourir de vivres , médicaments et autres choses «nécessaires. " Nous n'en finirions pas si nous voulions citer toutes les preuves que nous pourrions accumuler contre cette erreur, aussi insoutenable qu'elle est répandue, que ce sont les fièvres paludéennes qui ont amené la désorganisation rapide et la dépopulation des villes du littoral au moyen âge. Seraient-ce aussi les miasmes empestés de la palus de Vie qui ont engendré les épidémies effroyables dont nous avons vu dévorer, et cela hier, Marseille , Paris, Amiens, où l'Impératrice fut une héroïne? Que dessalerez- vous et que drainerez-vous pour empêcher la caravane fataliste qui se rend à la Mecque de nous apporter, à son retour, la peste des temps passés ? et pourquoi n'accusez-vous pas les limons du Gange d'engendrer le fléau ? Comment se fait-il que la famine qui règne encore dans notre colonie d'Afrique ait pu engendrer le ty- phus, le choléra, la peste, que sait-on? tous les fléaux limbiques dont vous accusez nos marais d'avoir em- poisonné nos devanciers ? Nous allons vous le laisser dire par des hommes dont vous ne discuterez point la compétence, et qui - 258 — pèseront plus dans la balance que le savant patholo- giste Boudin , puisque leurs conclusions , loin d'être prises par hypothèse, à quelques siècles après les faits, comme celles du savant que vous citez, jaillissent douloureuses du contact même des événements. Le journal le Messager du Midi, des lundi 13 et mardi 14 avril 1868, nous apprend que la Société de médecine d"" Alger s'est réunie pour aviser à la déplorable situation sanitaire de la colonie, et qu'elle a pris une délibération dont nous extrayons les pas- sages suivants : « Les Arabes souffrent depuis longtemps déjà de r> la misère la plus profonde et de tout son lugubre « cortège de privations, de famine, de maladies. r> La charité des colons européens, la bienveillance r> et les soins de l'administration et du gouvernement r> ne devaient pas faire, et n'ont pas fait défaut, dans •» ces tristes circonstances. Depuis quelques mois, les r> centres de colonisation européenne sont devenus r> de vastes bureaux de bienfaisance ouverts aux » indigènes. « Il en est résulté quelques inconvénients. » L'incurie des Arabes, leur profond laisser aller, r> leur malpropreté repoussante au milieu d'un dénu- » ment absolu, ont fait de ces malheureux un foyer « (f infection, et quelques points du territoire de la » province, Orléansville, Milianah, Coléah, Blidah, r> Alger , ont compté des victimes européennes, vie- - 259 — v> times frappées par l'infection résultant des agglo- r> mératîons d'indigènes^ dénués de tout, etc., etc.» Et plus loin, même délibération : r> En dehors des mesures prises par le gouverne- » ment général et par l'administration , la Société r> de médecine d'Alger croit utile de donner la plus » grande publicité aux propositions suivantes : y> V Toute agglomération d'hommes réunis dans r> un espace restreint constitue un danger et produit » des maladies spéciales à l'encombrement. r> 2° Ce danger, ces maladies, prennent une inten- r> site en rapport direct avec la malpropreté, les mau- r> vaises conditions hygiéniques des personnes en- » tassées. » 3° Dans les circonstances actuelles, les malheu- y> reux indigènes, obhgés de fuir leurs tribus, viennent » solliciter nos secours. // 7ie faut pas les admettre y> dans nos centres européens, car ils deviendraient •n un foyer d'infection pour les leurs, pour eux- r> mêmes et pour nous. » Si l'on doutait de l'analogie qui existe entre la position des Arabes et des colons d'aujourd'hui et celle des Frontignanais en temps de peste, qu'on relise cette délibération du conseil, du 11 novembre 1628: «Délibère ne recevoir personne, ni bardes, mais » permettre l'entrée à gens venant de lieux non sus- » pects et munis de bons bulletins. - 260 — m Propose de plus et délibère renvoyer les bouches 5' inutiles, lesquelles, s'il arrivait du mal, seraient en » grande charge à la ville. « Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et, à deux siècles et demi de distance, la prudence hu- maine a dicté contre les mêmes fléaux les mêmes pré- cautions égoïstes. Voilà qui est concluant; et, quand à l'avenir on nous parlera des fléaux du moyen âge , si on les compare aux malheurs que nous avons sous les yeux, on se gardera bien d'indiquer comme remède la mise à sec d'un étang ou le dessèchement et le des- salement de quelques hectares de palus! La cause est entendue. Passons aux fièvres et aux fiévreux. L'honorable auteur du Mémoire cède la parole à un docteur de Beaucaire, M. Nourrit, qui déclare que les améliorations sanitaires accomplies dans le Gard, depuis le commencement du siècle, sont dues au bien-être qui , grâce à la vigne, a pu pénétrer jusque dans les derniers hameaux. Que le patriarche Noè soit béni ! Tout d'abord M. l'Ingénieur en chef paraît s'as- socier au cri de gratitude qui nous échappe ; mais soudain, par la plus compromettante des contradic- tions, l'auteur du Mémoire sur l'amélioration, au lieu de sauter au cou de M. Nourrit, qui apporte à sa thèse le puissant secours d'une expérience victo- - 261 — rieuse, lui répond ( page 9 ) « que le progrès de la » science médicale, la découverte de la quinine contre r> les fièvres. . . Ces motifs ne priment-ils pas de beaucoup « l'effet de la transformation et de l'exploitation ? » Ceci nous paraît grave. Est-ce donc à dire que dans le Gard les progrès de la médecine et la quinine chasseront les fièvres, tandis que dans l'Hérault, sans dessalement, dessèchement, pas de salut ? Poser une telle question , c'est la résoudre. Lisons attentivement ceci : « Dans tous les cas, sur notre littoral de l'Hérault, rîdans les communes de Frontignan, Vie et Mireval, » au nord et à l'est de Mauguio, l'état des lieux ne y s'est pas amélioré, quoique les fièvres y aient leur » quartier pendant les grandes chaleurs, que les épi- » demies y soient fréquentes et que la mortalité y soit » grande. Nous croyons à une amélioration de la santé r> dans ces dernières années. » Impossible de rendre à M. Nourrit, à la vigne et à la quinine , une plus éclatante réparation. Comment, Vétat des lieux ne s'est pas amélioré, et pourtant la santé s'est améliorée! alors laissons faire l'hygiène, la quinine et la vigne, et disons avec M. l'Ingénieur que ces motifs priment de beaucoup la transformation et l' exploitation ; ce qui pour nous signifie les projets d'amélioration, de dessalement et de dessèchement. Il est cependant une amélioration de l'état des 33 — 262 — lieux que M. l'Ingénieur en chef parait ne pas con- naître. Avant 1830, les fossés de Frontignan regorgeaient de toute sorte d'immondices, et les bètes de somme mortes au service de l'homme, jetées à ces impru- dentes gémonies, empoisonnaient l'atmosphère. Les hautes murailles emprisonnaient et retenaient dans l'enceinte des rues étroites les émanations délétères, et les désastres succédaient aux désastres. Après le choléra de 1832, on se décida enfin à trouer les murailles; puis, l'air circulant, on les rasa complètement et on les jeta aux fossés, qui furent comblés. On "vient de repaver les rues, et nous pou- vons assurer que, à moins d'être médecin ou mar- chand de quinine, on peut affirmer qu'aujourd'hui, à Frontignan , on se porte tout aussi bien qu'ailleurs. Il est incontestable que la nourriture du paysan d'autrefois ne saurait être comparée à celle des paysans d'aujourd'hui. Voici ce qu'en dit un Mé- moire, dont une seule feuille est en notre possession; et malgré nos recherches nous n'avons pu rappa- veiller l'ouvrage, comme disent les libraires. Nous citons avec le regret de ne pouvoir indiquer le nom de l'auteur. « Enfin une autre des'J causes majeures du dépé- r> rissement est la 'mauvaise nourriture dont s'entre- « tiennent ces habitants, qui puisent un germe de mort V de plus dans un des moyens que 1' Auteur de la — 263 — " NATURE leur avait fournis pour en éloigner le terme. "La plupart de nos travailleurs de terre, dans les «fortes chaleurs de l'été, rongés par la fièvre, sans "moyens, sans courage, prennent la nourriture la «plus facile à acquérir; ils trouvent cette grande « facilité dans la pêche faite dans les fossés, par le «seul mouvement donné à l'eau, qui la trouble, la " mêle avec la vase et détermine le poisson à se ras- " sembler dans un espace resserré, où il est pris avec w aisance. «De là. Messieurs, cet état habituel d'infirmités "que vous avez pu remarquer dans certaines villes " et lieux situés sur la côte ; de là ces maladies in- " connues à des yeux même exercés ; de là ces épidé- " mies qui se manifestent souvent dans ces cantons, «et dont la forte impression influe même sur les «animaux domestiques; ceux des habitants dont le " tempérament lutte le plus contre la mort sont dans «un état de caducité qui devance de beaucoup la « vieillesse, etc. » Aujourd'hui le travailleur de terre ne mange plus d'anguilles vaseuses: il préfère une côtelette de mouton ou un rond de gigot; mais il est juste de dire qu'il faut avoir des vignes pour suivre ce ré- gime antifébrile. Nous regrettons de tout notre cœur qu'il n'en soit point ainsi ; mais, hélas ! même à Frontignan tout le monde n'a pas des vignes, et ceux qui n'en ont pas — 264 — ont en revanche les fièvres. Laissons parler M. Nour- rit, toujours par la bouche de M. l'Ingénieur en chef. « L'influence locale se fait sentir d'une manière »plus marquée sur les personnes récemment fixées r> dans le pays : elles payent, en général, un tribut à r> l'acclimatation et contractent les fièvres dans les «premiers temps de leur séjotir. Ce fait est surtout » particulier aux préposés de la dotiane, qui viennent r> presque tous de pays étrangers, et qui, par la na- wture de leur service, sont exposés jour et nuit à » l'absorption des miasmes au milieu des marais et »des étangs durant l'été. Les cinq sixièmes (Centre « eux tombent malades^ aucun ne passe Vannée sans y> l'être. Il en meurt, année commune, un dixième, «tandis que la mortalité n'est que d'un vingtième w pour les autres habitants. « Nous ne voyons, pour notre compte, dans cette citation, qu'un résultat certain, auquel nous serions presque tenté de nous associer : c'est qu'elle ne fera pas augmenter le chiflre des engagements dans le régiment des Contributions. ./ Mais, comme il se trouve que notis sommes étran- ger, récemment fixé dans le pays , et que nous fré- quentons beaucoup la douane et les lieux confiés à sa garde, nous demandons à déclarer solennellement que nous n'avons jamais eu les lièvres: cependant, de - 265 — six ans de séjour, nous en avons bien consacré trois dans les étangs et les palus , à la quête du salmis ou de la brochette odorante, sur sa croûte de pain grillé. On avait entrepris de vider certaines parcelles de nos étangs, resserrées et amoindries entre les vignes et les digues du canal. Nous fûmes effrayé du ré- sultat cherché, car c'était sciemment provoquer la peste que de vouloir mettre à nu des vases noires et liquides, des vases infectes, à près de l^ôO au-des- sous du niveau de la mer. Un engin, ressemblant à un soleil de feu d'arti- fice gigantesque, se dressa sur la digue du canal; et, bien que nous eussions connaissance de sources nom- breuses qui ne se laisseraient pas tarir facilement, nous approchâmes, l'angoisse au cœur, de l'instrument redouté. Un coup d'œil rapide nous tranquillisa : la mécanique, indolente par le temps calme, prenait le mors aux dents au moindre grain , dispersant à tous les vents, comme une vierge folle, sa chevelure de cordages et d'agrès, dangereuse pour celui-là seu- lement qui était chargé de sa conduite, et qui, en échange de ses bons soins , recevait de temps à autre un coup désordonné par le travers des côtes et volait à dix pas. Bécassines et poules d'eau riaient à plein bec dans les roseaux du rivage. Il était clair que la conquête du futur conquérant restait encore à faire, et la besogne ne nous parut — 266 — pas facile *. En dehors du but proposé, que nous tenons pour désastreux, il nous sembla voir l'ange de la légende sainte vidant l'Océan, une cuiller à la main. Le cantonnier qui, après l'orage, veut faire dispa- raître les flaques d'eau remplissant les ornières du grand chemin se contente d'y jeter par pelletées les cailloux brisés qu'une simple prévoyance a placés sous sa main. Quel grand ingénieur que ce simple cantonnier ! Nous concluons donc, contrairement au Mémoire-: Que les palus et leurs miasmes, qui donnent la fièvre, sont à peu près étrangers à la dépopulation des villes du littoral vers la fin du moyen âge , les pestes et les fléaux contagieux devant être imputés, soit à des importations (ce qui a encore lieu de nos jours), soit aux massacres humains dont ces mêmes villes ont été le déplorable théâtre, alors que les bras manquaient pour ensevelir les morts et que les champs de bataille devenaient de véritables foyers d'infection ; Que, la misère et l'incurie, filles de la guerre et de ses incertitudes , ayant placé nos populations dans la triste situation où se trouvent les Arabes, au dire du conseil des médecins cité plus haut, il nous paraît * Nous avons revu depuis, dans les Expositions, ce rotateur excentrique; le sournois fait son tranquille. Demandez au garde" canal, qui l'a fréquenté chez nous, ce qu'il en pense ! - 267 — rationnel d'admettre que les mêmes causes ont pro- duit les mêmes effets ; Que les fièvres paludéennes disparaissent de jour en jour, devant les soins hygiéniques dont les habi- tants de nos campagnes ont pris le goût et recon- naissent le besoin ; Que les fièvres paludéennes disparaissent devant le bien-être amené par la culture de la vigne, qui a transformé le régime alimentaire de nos cultivateurs ; Enfin que la quinine fait le reste, ce que les vieil- lards octogénaires qui circulent aujourd'hui dans les rues de Frontignan, pleins de santé, pourraient affir- mer avec nous. A part la pêche , qui , bien que déchue, constitue encore une industrie à Frontignan, la chasse d'eau est à peu près le seul plaisir que nous retirions de nos étangs. L'automne venu, apparaissent de longues files de voyageurs venant prendre leurs quartiers d'hiver, et nos étangs sont bientôt peuplés. Le milouin, que nos pêcheurs appellent boivis, est un de leurs gibiers les plus abondants et fournit à ces braves gens, l'hiver, une pêche fort curieuse et sou- vent fort productive. Le bonis, nous avons eu occasion de le dire déjà, est un plongeur émérite, qui va chercher aux plus grandes profondeurs de l'étang les graines sous- — 268 — marines dont il se nourrit d'habitude, à moins que leur rareté ne l'oblige à manger du poisson, ce à quoi il se résigne en philosophe qui, avant tout, tient à rester gras et dodu. Donc les pêcheurs, qui connaissent les lieux fré- quentés par le bouïs, aux herbes touffues du fond et aux débris de feuilles qui flottent, arrachées la nuit par cet imprudent glouton ; les pêcheurs y ten- dent un long filet à double maille, l'une grande et l'autre petite, et qu'ils appellent la cabussière, de leur verbe patois cabusser, plonger. La nuit arrive, et avec elle le bouïs commence son repas; il plonge, s'engage sans s'en douter dans la grande maille , puis, rencontrant la petite, se retire brusquement et veut se dégager ; mais il est trop tard : ses mouvements saccadés ne font que l'empê- trer davantage , et en quelques secondes le plus habile nageur est noyé dans le filet. Le lendemain, au marché, la cuisinière sera ravie de la rondeur et du poids de ce joli gibier ; mais, quand elle l'éventrera, elle sera bien surprise de voir son poids s'en aller en eau : ce qui prouve que la cabussière attrape plus que des canards. Nous avons assisté dans l'étang de Palavas ou de Vie à des levées de cabussièrgs, oti les canards pen- daient en grappes pressées; et nous nous souvien- drons toujours de la joie des pêcheurs, que l'arrivée de cette manne transportait d'aise. Une seule cabus- sière, il y a deux ans, avait retenu cent trente bouïs — 269 — captifs en une seule nuit : c'était un coup de filet superbe. Hélas ! quinze jours après un affreux mauvais temps brisait les filets en pièces et les jetait à mille mètres de là, mutilés sur le rivage, et les pauvres pêcheurs se lamentaient ! . . . Tout n'est, en ce monde, qu'heur et malheur ! Mais nous avons toujours admiré la sagesse de la Provi- dence, qui a mis au cœur de ces braves et simples ma- rins assez de courage et de persévérance pour qu'ils puissent vivre continuellement en contact avec un élément capricieux, qui les enrichit ou les ruine du jour au lendemain, leur laissant la continuelle expectative de l'incertain, puisqu'il prend jusqu'à leur vie, dont il semble se faire un jeu. Parmi les nombreux étrangers qui viennent, l'hi- ver, briguer l'honneur de faire connaissance avec notre casserolle, un des moins délicats , le moins dé- licat peut-être, occupe le premier rang ; nous avons nommé la macreuse ou foulque. De la grosseur d'une poule moyenne, la macreuse est un très-bon nageur, grâce à la puissance de ses doigts, armés à chaque phalange d'une paire de palettes semi-circulaires. La macreuse, à laquelle l'habitant du littoral trouve une saveur exquise, la macreuse est tout sim- plement quelquefois mangeable, quand on a soin de la choisir jeune et grasse. On en fait une sorte de sal- mis avec des olives noires, du vin et de petits carrés 34 — 270 - de pain sautés au beurre ou à l'huile, ce qui cor- rige son arrière-goût habituel, insupportable pour certains ' . Un jour de faim-calle, après une chasse désordon- née, nous nous souvenons avoir mangé avec délices une jeune macreuse abattue quelques instants aupa- ravant. Sitôt plumée, nous la suspendîmes par les pattes au manteau de la cheminée du garde j et, tan- dis qu'un feu clair flambait dans l'àtre, nous versions à l'intérieur de la bète quelques cuillerées du bor- deaux de notre gourde, suffisamment épicée de sel, de poivre et d'un soupçon d'ail. Le résultat eut un succès complet, et nous conseillons la recette comme infaillible, à la condition qu'on soit exténué de fatigue et de faim. Ce qu'il y a de vraiment bon dans la macreuse, c'est sa chasse, sa chasse en volée, comme on la pra- tique sur nos étangs. Ces jours solennels sont annoncés à grand bruit huit et quinze jours auparavant ; on s'y rend de dix lieues à la ronde; et, le matin désigné venu, d'innom- brables barques chargées de chasseurs et de muni- tions couvrent les eaux de l'étang convenu. Autrefois les barques, divisées en plusieurs esca- drilles sous les ordres d'un chef, convergeaient vers le lieu où se tenaient les macreuses , les cernaient , * Peu scrupuleusesur son estomac, la macreuse mange le pois- son, ce qui communique à sa cliair un goût, de sardine rance. des plus prononcés chez les vieilles. — 271 - les fusillaient en commun, puis se divisaient pour aller les cerner de nouveau, à chacune de leurs poses ; après quoi, la chasse finie, le gibier était partagé en commun: tant par barque. Ce mode, où l'initiative personnelle disparaissait un peu trop, n'est plus usité aujourd'hui: les ma- creuses et les bons tireurs s'en trouvent bien. Ce qu'il y a de commun aujourd'hui, c'est le signal du* départ. A la pointe du jour, vous êtes sur l'étang. Vous avez eu soin de choisir un rameur solide et intelligent, car de lui, plus que de vous peut-être, va dépendre le succès de votre journée. Vos fusils, deux Lefaucheux suffisent, sont l'un à droite, l'autre à gauche , en avant de vous ; vos car- touches en face, sur la banquette, bien à portée de la main. Ayez toujours des armes de même calibre : une méprise de cartouche, au milieu du combat, peut vous faire perdre une précieuse minute. Votre diner est à l'avant de la barque, ainsi que celui de votre matelot. Le jour paraît. Levez votre casquette à saint Hubert : il vous donnera l'œil juste et le doigt précis ; puis tirez votre gourde ; faites boire à l'homme un doigt de votre vieille eau-de-vie. Pour aujourd'hui, le voilà votre maître et votre juge. Versez-en pour vous quelques gouttes sur un mor- ceau de sucre, et avalez en laissant fondre dans la bouche. Maintenant vogue la nacelle, en avant ! Le soleil, qu'on ne voit pas encore, empourpre le ciel au levant, et la mer, noir de jais, coupe l'horizon, - 272 - comme ferait une muraille devant le foyer d'un in- cendie. Ce spectacle étrange, fantastique, du ciel rouge et du flot noir, vous impressionne; mais le marin, qui voit ces choses tous les jours, vous rappelle à vous- même, et du doigt vous montre à l'avant de la barque des formes sombres qui se meuvent au milieu du reflet métallique des eaux. Quelques détonations éclatent, et les bruits de voix, qui des rives lointaines arrivent jusqu'à vous, à travers le clapotis de la vague et le bruit des avirons, vous indiquent que les berges sont garnies et que quelque chose d'extra- ordinaire se prépare. En efl"et, des explosions sourdes, prolongées, traî- nant longuement sur l'eau leurs ondes sonores, vous disent que la bataille commence : ce n'est d'abord qu'un tiraillement d'avant-garde, annonçant que les canots ont rencontré le gibier. Mais à ce bruit tous forcent de rame, et bientôt un feu roulant fatigue de son tonnerre les échos lointains. Vous êtes au milieu de la fête. Du calme ! du calme ! du calme ! A cinquante mètres de vous, quatre , cinq , dix macreuses , nagent dans le vent , pour vous gagner de vitesse. A votre rameur de dé- jouer cet espoir: le canot glisse rapide sur l'onde, et les pauvres bêtes, inquiètes de tout ce bruit, inquiètes de la courbe que décrit votre esquif, commencent à redouter vos intentions. Vous n'êtes plus qu'à vingt mètres, et déjà vous - 273 - avez épaulé; votre rameur abat ses avirons et reste immobile. A vous, maintenant! visez bas, l'eau est trompeuse. Mais il est trop tard : le chef de file a tourné bec au vent ; pas de méprise, il va prendre vol. Feu ! . . . manqué. La bestiole s'élance lourdement, battant avec bruit l'étang de ses ailes, puis accom- pagnant son élan pendant plus de dix mètres par les coups de rame désespérés que ses longues pattes lui permettent de donner à la surface de l'eau. C'est l'instant de la revanche; et, tandis que la macreuse file, énorme, droit devant elle, votre seconde car- touche la ploie en deux. Et la foulque gît, pelote informe, balancée sur le flot, que son sang rougit, sur le même flot où naguère elle mirait glorieuse son casque noir à visière d'argent. Ce coup de feu s'appelle tirer à la raffe; il n'exige que du sang-froid et quelque habitude du tir en bateau. Mais vous n'avez pas de temps à perdre : rechargez, pendant que votre rameur ramasse le gibier. Le ciel, sur votre tête, est obscurci du vol de tous les oiseaux, que cette fusillade matinale est venue surprendre; toutes les variétés du canard étendent leurs longs rubans étonnés, capricieux. Mais le bruit de guerre continue ; il faut prendre un parti : l'étaifg n'est plus habitable. Et vous voyez leurs spirales s'élever à une grande hauteur ; puis, tirant droit au soleil, dont l'éclat vous fatigue la vue, aller par mil" liers prendre refuge à la haute mer. — 274 — Les macreuses sont restées, divisées par le pre- mier feu; elles nagent maintenant de ci, de là, chacune pour soi , et le massacre va recommencer. Instruit par l'expérience, vous mesurez vos coups, et il est rare que la pauvre poule vous échappe. En voici une qui vient à tire-d'aile passer sur votre barque. Halte! criez-vous au matelot; et vous levez votre fusil. Le coup part, la macreuse plie sous son ventre ses longues pattes, qui dans son vol lui servent de gouvernail, et vous la voyez lîlei*, stupéfait, sans songer à lui envoyer votre second coup. Quand vous y pensez, il est trop tard : vous avez le soleil dans les yeux. Vous n'avez pas tiré assez en avant, car la foulque, qui s'élève si lourdement, a le vol très-rapide une fois lancée, — que de tireurs s'y trompent ! — ou bien votre rameur a fait un mouvement. Si petit qu'il soit, le moindre mouvement donné à la barque suffit pour jeter à dix mètres du but le plomb que votre coup d'oeil était certain de caser en plein dans cette jolie bète noire, qui passait là-haut, répétant son petit cri plaintif et guttural : hip , hip ! hip , hip ! . . . . Mémento : rien ou presque rien ne vous servira de tirer juste, si vous avez un rameur inhabile : avec lui vous rapporterez deux macreuses, et encore ! quand, avec un marin expert, ceux qui tuent leur chien à l'arrêt pour un lièvre déboulant du gîte rapportent triomphants leur demi-douzaine de foulques. Le coup en chandelle est certainement le triomphe - 275 - de la volée, tant à cause de la difficulté matérielle d'atteindre verticalement au-dessus de vous un oiseau qui file vite et haut, assis que vous êtes dans un canot balloté par la vague, que pour le spectacle ravissant de voir la macreuse ployer ses pattes et son cou, détendre ses ailes et tomber droit, tout droit, à pic, en tourbillonnant gracieusement, comme une valseuse affolée par la musique. Nous avons vu de ces coups droits splendides des- cendre des nues- des macreuses refusées par vingt canots et soulever des barques voisines des tonnerres d'applaudissements. Les Aigues-Mortains , riverains de l'étang de Mauguio, sont classés au premier rang pour ce genre de coup de feu. Vous avez cinq ou six macreuses dans votre ba- teau; pour un débutant, c'est superbe. Mais jusqu'ici vous avez tiré de près, ce qui est prudent, et le gi- bier est toujours resté roide mort. Voyons ce que vous ferez de celle-ci, qui rafïe à gauche. — Trop loin, dit le rameur. — Trop tard, répondez vous. En effet, votre cartouche est brûlée, et l'oiseau continue sa route ; mais son vol tout à coup se ralentit et s'abaisse, puis il s'abat lourdement. — Touchée! mur- mure le marin , qui oriente sa barque. C'est alors qu'il a besoin de toute la force de ses vigoureux poi- gnets, car les barques rivales ont vu se poser l'animal blessé, et toutes lui courent sus. En plaine, ce serait un vol manifeste; dans l'étang, c'est accepté. Cependant on admet comme blessé à - 276 — mort, et appartenant au premier tireur, l'oiseau mis hors de combat, qui ne peut plus ni voler, ni plonger. Grâce à votre rameur, vous arrivez le premier. Vous visez j mais, au moment de presser la détente , vous voyez jaillir quelques gouttes d'eau dans la projec- tion du rayon visuel, au bout du canon de votre fusil. Ne tirez pas : la macreuse a plongé j seulement ayez l'œil au guet, debout dans votre barque, car vos ri- vaux, qui vous ont rejoint, sont tous debout et l'oeil au guet. En ce moment critique, il est bon que votre ra- meur prenne votre second fusil et fasse sentinelle à bâbord, tandis que vous veillez à tribord. Mais la ma- creuse va sortir à vingt mètres de vous, sous les ca- nons d'un de vos voisins, qui lui casse la tête et la prend. Ne dites rien si vous nous en croyez, quoique vous soyez cruellement froissé d'un pareil sans-gêne ; en- gagez également votre rameur à ne point trop injurier la barque voisine, ce qui ne changerait en rien la coutume et aurait, entre maints désagré- ments, celui de vous faire perdre du temps. Le mieux, si vous tenez absolument à votre gibier, est d'offrir accommodement : une pièce de cinquante centimes ou d'un franc aplanit d'ordinaire toute difficulté , et vous vous éloignez, tandis que votre rameur grom- melle entre ses dents. La macreuse blessée déploie une énergie et une ruse indomptables, et qui vont jusqu'au suicide. Il c; nous est arrivé, il j a deux ans. à l'étang de Palavas. d'être acteur et témoin d'un semblable dénoùment. Nous venions de rafler notre quinzième macreuse ; l'heure du dîner nous tenaillait, et nous avions donné l'ordre du retour. Encore une . Monsieur, disaient nos rameui's ; encore une : çà fera cbiffi^e rond ! Nous montions une forte barque, en compagnie de notre garde Cros, dit Lalain : nos rameurs étaient Xa- vier et son Ijeau-fils Lucien, pècbem^ des Ai'esquiés. Une macreuse passe loin à gauche par notre travers, et à tout hasard nous lui envoyons en tète, à un mètre, une cartouche longue de notre gros canardier, calibre seize : l'animal hésite, tournoie, tombe , et s'enfuit en nageant. Une barque voisine faisant mine de s'approcher, nos rameuta lui coupent la route; et déjà nous tenions la macreuse au bout de notre fusil quand, voyant ses vains eflbrts pour prendre vol ou pour plonger^, nos compagnons s'écrient: Ne tirez pas, elle est prise! Xavier, radieux, se lève de la barque brandissant sa fichouïraj et criant : « A moi la seizième ! voilà mon Lefaticheux !» et il lance son trident. Le coup porte en glissant sur l'épais duvet du volatile ; la macreuse disparaît sous l'onde, et notre pèchem' retire sa fichouïra sans la moindre foulque au bout. La figure, auparavant rayonnante, du pécheur, exprima tout à coup un désappointement si vif, que nous en rîmes de bon cœur; mais c'en fut fait de noti'e macreuse ; et plus d'une demi-heure nous sto- — '^ls — pâmes sur le]lieu de révénement, tournant autour de la fichouïra que Xavier avait plantée comme point de repère, sans rien voir remonter sur les flots. C'est un fait certain d'ailleurs que, blessée, réduite au désespoir, la macreuse réunit ses forces dans un suprême effort, plonge, se cramponne aux herbages sous-marins, et là si fortement, les convulsions de l'agonie aidant, que le cadavre de la pauvrette reste enseveli dans les forêts d'algues et de fucus. Nous lisons à ce sujet dans le Livre de la ferme, sous la direction de M. Joigneaux, tome II, page 1023: « On les trouve par bandes sur les étangs (les ma- » creuses); il est assez facile de les approcher. La ma- r> creuse ne 'plonge pas ! » Oh ! monsieur Joigneaux ! monsieur Joigneaux ! Enfin la chasse est finie et vous abordez le canal des Étangs, dont les digues, transformées en rendez- vous de chasse, offrent le spectacle le plus étrange et le plus animé. Pendant que votre bateau courait de l'une à l'autre de ces pauvres bêtes que vous avez tuées ou man- quées, les deux rives du canal entre l'étang et la mer se sont garnies de gens de pied. Un immense ruban de tirailleurs cerne l'étang et coupe la retraite aux fuyards ; ceux-là tirent à coup sûr, ayant le pied ferme, et il arrive souvent que tel chasseur habile, qui s'er^t trouvé à une bonne place oc; M ^ "-ci 3:i — 279 - sur la digue du canal, a tué plus de macreuses que bien des chasseurs en barque, pour peu que le vent fasse clapoter la vague. Une fois les barques se retirant, ce long chapelet, dont chaque grain espacé de vingt à trente mètres est un homme armé , ce long chapelet se replie sur les lieu^ de rendez- vous. Là chacun compte ses victimes, et le plus fort est proclamé. Les feux du bivouac s'allument. On étale sur la braise côtelettes et saucisses; le jambon froid, le bœuf en daube sortent de tous les carniers, les flacons circulent, et, après le temps moral nécessaire à la satisfaction du premier appétit . la langue se délie : les anecdotes circulent. C'est un feu roulant sur l'adresse de celui-ci, la maladresse de celui-là ; vous recevez alors les confi- dences de ces pêcheurs brûlés par le soleil. Messieurs un tel et un tel, dont vous avez vu avec admiration filer la barque chargée de vingt-cinq à trente victimes ; ces messieurs en ont acheté deux à celui-ci, trois à celui-là, quatre ou cinq à cet autre ; et, se montrant les uns aux autres le produit de leur vente, ces narquois répètent : Es lou pus for, mais l'a pagat (C'est le plus fort, il l'a bien payé). Puis on raconte les prouesses des anciens et ces temps légendaires où les barques rentraient au port après une volée qui durait tout le jour; le plus mau- vais tireur rapportant trente macreuses, et le plus — 280 - fort, sa barque tirant bas d'eau sous le poids de cent cinquante foulques. Et ceux-là n'avaient que le fusil à pierre ! Quantum mutatus ! que les temps sont changés ! La volée est finie. Eloignons-nous, tandis que les plus échauffés tirent au vol leurs bouteilles vides, pour se dispenser de les rapporter pleines ! LES MARAIS LES MARAIS Nos marais, contemporains des étangs et de la plage, ont assisté, comme eux, à tous les événements que nous avons racontés déjà. La palus, alternativement couverte par l'eau douce ou par l'eau salée, suivant que les pluies ont été abon- dantes ou que la mer furieuse a maintenu pendant plusieurs jours son niveau surélevé, la palus n'est pas, comme le croient d'ordinaire les étrangers, un terrain vaseux. Au contraire, le sol y est ferme, couvert d'une végétation sui generis, dont raffole le bétail à laine ; les flaques vaseuses qu'on rencontre ça et là, recon- naissables à la végétation plus grasse et d'un vert moins foncé, ces flaques sont d'ordinaire formées par les affleurements des sources qui descendent de la — 284 — montagne ou par ceux des conduits souterrains qui correspondent à l'étang ou à la mer. On s'enfoncerait à coup sûr dans ces fondrières si l'on ne connaissait parfaitement la palus, et il est prudent, à l'époque des grandes eaux, de ne point s'y aventurer au hasard ; quand les eaux sont basses, le danger a disparu, les parties à sec vous engagent d'elles-mêmes à y poser le pied. La chasse, à la palus, a pour principal objet la bécassine et la poule d'eau. Tel qui croit à l'un de ces charmants gibiers voit s'élever une sarcelle ou un col-vert, ce qui n'est pas toujours une surprise agréable, quand on est impressionnable à ce grand bruit d'ailes soudain, ou qu'on tire avec de la cendrée du dernier numéro. Le vanneau, le pluvier, viennent par bandes, l'hi- ver, s'offrir à nos coups et mettre en jeu, par leur vigilance, la ruse du chasseur qui tient à contrôler ce dicton, que, pour notre compte, nous avons pris bien des fois en défaut : Qui n'a mangé ni pluviers, ni vannoaux Ne connaît pas de bons morceaux ! Nous aurons achevé, comme chasse, le bilan de nos palus quand nous aurons parlé de l'affût du canard, qui entraîne à la nuit tombante toute la population du pays. Tout ce qui a fusil défile sur les berges et va se blottir dans les hautes herbes, près des sources , où le canard vient la nuit se reposer de .î^ v.vïw tûù.Mtnfi' Quand on esl impressionRable. — 285 — ses fatigues du jour et prendre une nourriture abon- dante. Le chasseur, en quête d'un bon poste, s'est promené le matin dans la palus et a inspecté soigneusement chaque flaque d'eau. Celles qui sont les plus limpides et les plus belles à vos yeux lui sont indifférentes à lui. Tout à coup son œil se dilate, il se baisse rapide- ment : une plume est là qui ballotte son duvet au pied des roseaux; en voici une autre, puis une autre. La figure de notre chasseur est transformée; il recueille toutes ces épaves de la toilette du pauvre canard et les met dans sa poche. Il ne faut pas qu'un confrère, venant après lui, puisse faire la même remarque, et qu'on se trouve nez à nez le soir au rendez-vous. Aussi notre homme regarde-t-il de tous côtés, comme s'il allait commettre un crime ; puis, à cinquante pas de là, près d'une flaque d'eau, il arrachera cinq ou six sousoîiî lires, qu'il laissera sur place pour dépister la concurrence. Ce soir il les ramassera en passant et en fera un affût à dix pas, sous le vent, du lieu qu'il a choisi. Toutes ces précautions prises, l'affùtier s'éloigne en disant aparté : «Viens-y ce soir faire tes ablutions, mon cher canard, ta toilette sera tôt terminée ! » Et le soir, s'il tire juste, le chasseur le fait comme il l'avait dit, et rapporte quelque barboteur au duvet lustré. Les alentours du salin de Frontignan sont parti- culièrement recherchés par les affû tiers. Au coucher 56 — 286 — du soleil, sur les digues et dans les palus, pas une touffe d'herbes qui ne cache un homme armé, pas un abri de roseaux d'où l'on ne voie sortir, noir et prêt au meurtre, le canon d'un fusil braqué. Le salin fera chapitre à part, tant à cause de son importance commerciale que d'un long procès dont les détails seraient de trop ici. La question du port de Frontignan semblerait aussi devoir venir tout naturellement au chapitre Marais ) puisque c'est dans cette partie de nos ter- rains que le port exista; mais son étendue et les dé- veloppements sérieux qu'elle mérite viendront plus à propos dans un autre volume : nous en prenons, pour aujourd'hui, ce qui a exclusivement trait aux rela- tions générales des palus, des étangs et de la plage. Nous avons cité au commencement de cet ouvrage la sentence de 1539, rendue par Monseigneur Jehan de Godelle contre le gardien du port de Frontignan, bien moins pour parler du port lui-même que pour faire connaître la pénurie de cette époque et l'énergie des consuls d'alors. Ainsi nous allons donner la description d'une tor- tue luth prise à Frontignan, et décrite par le savant médecin Rondelet, né à Montpellier en 1507, et qui y professa longtemps la médecine. La bibliothèque du musée Fabre, à Montpellier, nous a fourni ce curieux document, dont nous repro- duisons scrupuleusement le texte. — 287 — RONDELETIUS. De Piscibus. Lib. XVI; pag. ccccxli. Gain tortues vocant. Nostri, tortugues. Hispani, tortugas. Itali, galanas voce, ut apparet deflaxa est accusativo grseco ■/fktiiva.q. Quam nunc describimus , coriaceam appellamus quod in tegumentum habeat non tam cortici simile quam corio bubulo, duro nigroque; et jam concin- nato ad calceos, equorum que frsenos et sellas caete- ra que ornamenta conficienda. Eamdem Mercurii testudinem appelle, quod eam esse existimus, a cujus similitudine Mercurii musicû instrumentum nobis leut, Galli leu vocatum excogi- tavit ex ea testudine, quand Nilo decrescente in litore repererat, consumpta jam carne superstitibus nervis, et ob tensionem ad contactum sonantibus, cui instru- mentum musicû adeo simile est, ut nemo sit procul eam videns capite pedibusque; truncatis, qui non cbelyn nostram theca sua conclusam esse judicet : est enim hsec, ita testudo altéra parte supina scilicet plana est lata que; prona connexa ex sex assulis contexta longis angulos acutos efficientibus , toto ambitu rotundato prceterquam in cauda, quse in longum et acutum desinit, cui etiam instrumenti pars gracilior (cui inûxi sunt collopes, quibus fides interduntur et remittuntur) respondet. — 288 — H«c testudo a superiore partibus internis, alis, pedibus, unguibus non differt, longiore aciitiore que est cauda, capite osseo. Rostri pars inferioris acuta est, et sursum recurva, superioris extremum in partes duas divisum, inter quas inferioris extremum recipitur. Hujiis modi rostro minus avem refert quam su- perior testudo. Oculis est majoribus, an te quos sunt foramina narium loco. Caput semper prominet. Cervix lata est et torosa, in supina parte manilas aliquot rotundashabet, quas inepte qui de aquatilibus scripsit pron?e parti testitudinis corticatse appinxit. Garnis babet plurimum anteriore in parte musculis scilicet omoplatum, in posteriore multo minus; ea bubulae similis est. Testa vertebris dorsi alligatur. Costas latas contegit cutis duplex interior corio spisso densoque sed Itevi similis superior tenuis et alba. Sub cute pingue plurimum coacernat. Vidi hujus modi testudinem ad solem menses ali- quot suspensam, ex qua quotidie pinguitudinis libra unadistillabat, quse, qui ceperat, ad lucernas utebatur, ejusdem carne salita loco bubulae. Ea ad Fronti- gnanum capta fuerat, longa cubitos quinque, duos lata. Alteram ante videram ad Magalonam captam, multo minorem . TRADUCTION Les Gaulois les appellent tortues; chez nous on les — 289 — nomme tortugues; en Espagne, tortugas; en Italie, galanas , locution qui paraît dérivée de l'accusatif grec iù.wjac, (chelonas). Celle que nous allons décrire, nous l'appellerons coriace, parce que le tégument qui la recouvre semble moins une écorce qu'un cuir de boeuf noir et dur, comparable à celui qui sert aux chaussures et à la confection des rênes, des selles et des autres orne- ments dont on pare les chevaux. Nous l'appellerons tortue de Mercure , parce que nous estimons qu'il y a une ressemblance entre elle et l'instrument musical de Mercure, que nous ap- pelions leut, les Gaulois leu, et que celui-ci trouva sur le rivage après la crue du Nil, ses chairs dispa- rues et ses nerfs existant encore et résonnant sous le toucher, à cause de leur tension ; instrument de musique auquel notre tortue ressemble, à ce point qu'il n'est personne qui, la voyant de loin, si on lui a coupé les pieds et la tête , ne déclare que notre chélonien ne soit renfermé dans son étui. Cette tortue, en effet, est plate et large en dessous; sa partie supérieure est composée de six bandes as- semblées par autant de crêtes longues et pointues; toute cette partie supérieure est bombée, excepté la queue, qui se termine en pointe et est assez longue. La partie la plus gracieuse de l'instrument cor- respond à celle où sont attachés le col et les pieds , et d'où partent et reviennent les cordes. Cette tortue ne diffère en rien de celle que nous — 290 — venons de décrire, en ce qui regarde les parties in- ternes, les épaules, les pieds et les ongles; la queue est plus longue et plus pointue, la tête osseuse. La partie inférieure du bec est recourbée en haut ; son extrémité supérieure divisée en deux parties, entre lesquelles est reçue la pointe de la partie infé- rieure; en sorte que, sous ce rapport, elle ressemble moins à un bec d'oiseau que la précédente. Les yeux sont plus grands, et en avant se trouvent des cavités qui remplacent les narines. Sa tête est toujours levée. Sa cervelle est large et noueuse ; à la partie supé- rieure se trouvent des taches rondes , que celui qui a écrit sur les poissons a stupidement dépeintes comme placées à la partie inférieure et corticée de la tortue. Sa partie la plus charnue est le muscle de l'omo- plate; la partie postérieure l'est beaucoup moins et est semblable à celle du bœuf. La tête est attachée aux. vertèbres dorsales. Les côtes longues touchent la peau double inté- rieure, plissée, épaisse, assez semblable à la peau su- périeure , bien que plus légère et plus blanche. Sous cette peau elle renferme une grande quantité de graisse. Nous avons vu une de ces tortues suspendue pen- dant quelques mois au soleil, et qui distillait par jour une livre de graisse, que celui qui l'avait capturée employait pour l'éclairage, et sa chair salée en guise de celle du bœuf. — 291 - Celle-ci avait été prise à Frontignan; elle avait cinq coudées de long sur deux de large. Nous en avions vu déjà une semblable, mais beaucoup plus petite, prise à Maguelone. L'église de Frontignan possède, fixé par des crampons de fer à la muraille, à gauche de la porte d'entrée, un ossement arqué, d'environ quatre mètres de long , que l'on désigne généralement sous le nom de la côte de baleine. A quelle époque cette dépouille fut-elle apportée dans le temple, en ex-voto, sans doute, des bénéfices faits par les pêcheurs sur la prise ou l'échouement d'un monstre marin de la famille des cétacés? Nous n'avons pu le découvrir, malgré nos recherches à ce sujet. Ce que nous pouvons affirmer, en revanche, c'est que cette côte prétendue n'est ni plus ni moins que l'os maxillaire inférieur droit d'un monstre marin quelconque, sans doute une baleine ou un rorqual , et que toute autre opinion sur ce volumi- neux débris doit être rejetée comme absurde. Nous reviendrons sur la délibération du 8 juillet 1642 et sur ses conséquences. Le grau projeté dans cette asssemblée, à la pointe de la Cabasse, ne fut pas exécuté (chacun sait que les limites de la communauté de Frontignan, du côté de Cette, partaient alors de la pointe des bains de Balaruc pour, passant par le rocher de Rouquairols, — 292 — venir toucher la pointe des métairies; et de là, suivant les bords de l'étang, coupait en ligne droite la plage, dans la direction que suivrait aujourd'hui une ligne partant du grand pont tournant du chemin de fer du Midi à l'entrée de l'étang, pour venir aboutir à l'établissement des bains de mer sur la plage) ; c'est- à-dire que la Bordigue, le nouveau port, les gares et ces énormes industries de sécheries de morue, de chantiers de bois pour futailles , les abattoirs , la gendarmerie, etc., etc., sont établis sur l'ancien territoire de Frontignan. C'est là qu'est le berceau de la ville de Cette, et c'est la Bordigue, colonie de Frontignan, qui lui a donné le jour. En effet, l'inexécution du grau projeté en 1642 se rattache à ce que, une ouverture fortuite s'étant pratiquée, vers le même temps, à la plage de la Bordigue, entre la mer et l'étang de Thau, nos pêcheurs s'y installent aussitôt. La pêche y est abondante , fructueuse , et les cabanes de roseaux s'y transforment vite en maisonnettes : la colonie prospère, et, vienne Colbert lui donner le baptême officiel , la ville de Cette sera fondée. Cette origine, reconnue d'ailleurs, bien qu'impli- citement, par M. le Maire de Cette, dans son discours pour l'anniversaire deux fois centenaire de la pose de la première pierre du môle , nous apparaîtra plus clairement encore, grâce à une délibération du con- seil municipal de Frontignan. Jean Campanon, patron de barque, réclame à la — 293 — communauté, qui consent à le lui payer, le prix de son esquif, qui, dans la fête de Tincendie de la Barque maure, que l'on célèbre tous les ans à Fron- tignan, a été endommagée par les flammes. Frontignan, et cela s'explique, avait capturé jadis une barque de corsaire, l'avait amenée triompha- lement dans son port et y avait mis le feu, à la grande joie et liesse de la population, harcelée par les mécréants Sarrasins. Tous les ans la bonne ville , en souvenir de ce jour mémorable, se mettait en fête. Elle habillait la moitié de ses marins en Maures, leur faisait monter une vieille barque hors d'usage et jetait à l'assaut de la nacelle, devenue sarrasine, l'autre moitié de ses enfants. Après un simulacre de combat acharné, les Maures étaient faits prisonniers et leur embar- cation devenait la proie des flammes, au milieu des cris d'allégresse de la ville entière. Le grau de la Bordigue s'ouvre. Les marins fron- tignanais s'installent sur ses bords , emportant avec eux leurs coutumes. A l'anniversaire de la Barque maure, ils ne manquent pas de faire le divertissement annuel, tandis qu'à Frontignan la coutume tombe dans l'oubli, par l'absence de la partie de la popula- tion le plus directement intéressée à son maintien. Voilà comme quoi Cette, qui n'a jamais vu un seul corsaire sarrasin — comment en eût-elle vu puisqu'elle n'était pas née — voilà comme quoi Cette, adoptant la coutume de ses marins, habille le jour 37 - 294 — de sa fête une foule de matelots en Maures de fan- taisie ; leur livre son vieux Fahert '_, qui se couvre de feux et résiste, au milieu des détonations et des cris, à une flottille audacieuse, qui l'aborde de toute part, armée de pétards et de fusées. Frontignan a perdu jusqu'au souvenir de ces fêtes ! D'un autre côté , Cette , intelligente , fière à bon droit de sa prospérité rapide , dépouille sans pitié sa vieille mère, et se taille un manteau de reine (lui rendant un nouveau lustre) dans la pourpre vieillie de celle qui lui a donné le jour. Le moment viendra, sans doute, où, à l'inverse de Saturne, la fille aura dévoré sa mère. Une invasion pacifique venue du Nord, comme jadis, a, depuis quelques quarante ans déjà, versé son sang généreux et calme au sang impétueux des pre- miers habitants de la cité de saint Clair, et de la fu- sion est sorti un négociant hardi, qui sait écouter les conseils de la prudence et dissimuler ses fins. Il a d'abord réclamé la Bordigue, et la Cordigue lui a été donnée sans indemnité par Frontignan, sa mère ; ensuite il a demandé les Eaux-Blanches, et sa mère les lui a données, moyennant promesse verbale d'indemnité. Le Cettois a pris les Eaux-Blanches et a gardé l'indemnité promise, ce qui est tout béné- fice. ' Vaisseau-école des mousses. - 295 - Plus tard, ayant soif, le Cettois a demandé à boire à Balaruc, et, en bon voisin, celui-ci lui a donné à boire, à la condition, verbale toujours, qu'il lui lais- serait, à lui, de quoi étancher sa soif. Depuis ce jour le Cettois boit, boit à plein gosier, et Balaruc tend la langue, attendant un filet d'eau promis sur parole, mais avalé jusqu'ici sans pudeur. Laissez-leur prendre un pied chez vous Nous croyons que la Peyrade, fatalement devenue faubourg de Cette, sera le chaînon qui lui rivera Frontignan. L'avenir dira si nos pressentiments sont fondés. Quoi qu'il advienne, il restera toujours vrai que Cette est fille de Frontignan et que les liens les plus intimes rattachent entre, elles ces deux cités, où, jusqu'aux noms de famille des habitants, tout dé- nonce la consanguinité qui unit la colonie à la mé- tropole. D'ailleurs, une fois la fille devenue grande et cité à son tour, les deux villes partagent les mêmes vues. Quand l'une crie : «Vive le roi ! » l'autre l'imite ; l'une crie-t-elle «Vive la ligue ! « sa voisine s'empresse de pousser le même cri. Les guerres de religion trouvent les deux ci- tés sous le même drapeau, et la prise de Cette, le 24 juillet 1710, va donner à Frontignan l'occasion de venir, en la mesure de ses forces, au secours de celle qu'elle a vue naitre, sous les efforts de ses enfants. - 296 - « Le 24 juillet 1710, une flotte parut à la vue « de Montpellier. On jugea d'abord que cette ville «ne serait pas attaquée, mais on put concevoir des r> craintes pour Aigues-Mortes et même pour la ville wet le nouveau port de Cette. » L'escadre était commandée par le chevalier de wNoris. Les troupes de débarquement étaient sous les «ordres de Saissan. Ce gentilhomme languedocien » avait pris du service dans les armées étrangères , à «cause de quelque injustice dont il disait avoir été «victime alors qu'il exerçait l'emploi de lient enant- « colonel dans les troupes royales. Il prétendait, «d'ailleurs, que cette partie de la côte où l'on avait «bâti la ville de Cette était l'un de ses domaines. «On avait mis sous ses ordres des détachements «des régiments de Stanhope et de Gouëten, et, en « outre, six cents fusiliers et quinze cents soldats de «marine, presque tous Anglais. Ces troupes venaient «de Port-Mahon, de Tarragone et d'Italie. Bien que «la descente eût pour objet de forcer les généraux « français à retirer en toute hâte du Roussillon et de «la Catalogne des corps assez nombreux pour s'op- « poser aux progrès de l'ennemi en Languedoc, cette «idée se joignait à celle d'une invasion en Dauphiné « et à l'espoir de voir de nouveau les Cévenols relever «l'étendard de la rébellion. Les vaisseaux de Noris « apportaient des munitions, des armes et de l'argent «aux mécontents. — 297 — w On renonça au projet de sauver momentané- » ment Cette, ville qui n'avait pas même une enceinte. »»Mais le duc de Roquelaure conçut le projet d'en- » fermer les troupes de Saissan dans la place qu'elles «allaient conquérir, en attendant que des renforts n amenés en toute hâte du Roussillon et la levée en «masse des milices catholiques pussent forcer l'ennemi »à se rembarquer. Le duc avait écrit au maréchal r> de Noailles, pour obtenir de lui un prompt secours. "En attendant il courut à Frontignan, ville située » au bord des lagunes qui se prolongent sur toute la «côte. C'était l'un des passages par où les ennemis » pouvaient entrer dans le pays, en s'emparant de la "digue nommée la Peyrade, qui joint la plage à la «terre ferme. On arma les habitants, on fit une cou- »pure, que l'on garnit de quelques pièces de canon. w Le soir le bruit de l'artillerie ennemie apprit au duc «que les ennemis s'étaient rapprochés de Cette. t De Saissan avait dans la nuit jeté sur les « côtes, derrière la montagne de Saint-Clair, au point «nommé le Vieiox-Môle, environ 2000 hommes. De « Lavergne, lieutenant des galères et capitaine général y> des gardes-côtes, n'ayant sous ses ordres que les mi- » lices du pays, n'avait pu s'opposer au débarquement, r> presque tous ses soldats ayant refusé de le suivre. Il «se retranchadans une église avec quelques miliciens; « mais, après une courte résistance, il dut abandonner «ce poste, non sans avoir obtenu une capitulation «honorable. - 298 — «Dubois, capitaine du port, s'était retiré avec «d'autres miliciens et quelques habitants dans le » fort, bâti à l'extrémité du nouveau môle, et il rè- «sista quelques heures. Mais ses propres soldats, "Craignant pour leurs familles, jetèrent dans la mer «les mèches des pièces d'artillerie et forcèrent Dubois » de capituler, comme l'avait déjà fait de Lavergne' ." Cette était prise ! Une fois maître de la place, l'ennemi mit tout en œuvre pour s'attirer les populations voisines, em- ployant en toute circonstance les voies de la doti- ceur, payant rigoureusement tout ce qu'il prenait, promettant l'exemption de toute sorte de charges, et vantant sans cesse l'avantage qu'il y avait d'être sous l'empire de la reine Anne. Mais nos populations, fidèles à leur roi, se sou- ciaient peu de devenir anglaises ; et tel qui dans son cœur avait de loin souhaité la venue des étrangers les considérait avec horreur alors qu'ils étaient pré- sents. Ils ne s'en tinrent pas d'ailleurs à ces seules tenta- tives de séduction, et, pour s'établir plus solidement sur cette partie de la côte, ils résolurent de s'emparer de Frontignan ; ils furent vigoureusement repoussés par le lieutenant-colonel de Geisen, qui commandait les habitants armés et mêlés avec les quelques mi- ' Hisl. Long., tom. X, liv. xlv. -- 299 — lices qu'on avait réunies à la hâte. Mèze, Marseillan, Bouzigues et Balaruc, furent aussi attaqués en vain, et quelques jours après l'ennemi, chassé par les troupes que le duc de Roquelaure ramenait en grande vitesse du pied des Pyrénées, reprenait la mer en désordre, sa frégate, qui gardait l'entrée du port, cou- pant ses câbles et laissant trois ancres, pour gagner plus vite le large. Ainsi échoua en six jours cette expédition fanfa- ronne, qui ne prétendait rien moins que le soulève- ment et la conquête du Dauphiné, de la Provence, du Vivarais et des Ce venues ' . Ce n'était pas la dernière fois que le pavillon an- glais devait se montrer victorieux sur nos côtes, à la rage impuissante de nos populations. En 1812, trois gardes-côtes français, poursuivis par une frégate anglaise d'une force dix fois su- périeure, faisaient des efforts inouïs pour essayer d'échapper à l'ennemi. C'était le Lion, le Robuste et le Borée. Les deux premiers, serrés de près, vinrent s'échouer sur la plage des Aresquiés; le Borée, seul, put se réfugier à l'abri du canon de Cette. Nos braves marins sau- tent à l'eau et abandonnent leurs navires après les avoir incendiés. A la vue des flammes qui s'élèvent, la population des villages voisins s'entasse sur les ^ Brueys, Hhi. du Fnnatismp. tom. III. — 300 — hauteurs ; la frégate ennemie s'éloigne et attend, muette spectatrice, le dénoûment prévu. En effet, les ondes s'entr'ouvrent, la terre trem- ble; jusqu'à Cournon, à dix kilomètres, les vitres volent en éclats, et une gerbe de débris informes s'élève dans la nue, puis retombe dans l'écume bouil- lonnante des flots qu'elle a soulevés; puis, plus rien La marine française a deux navires de moins. Alors la frégate s'approche de tous ces débris flot- tants pour s'assurer que le désastre est bien complet sans doute, mais aussi pour sonder le rivage, où la lu- nette du commandant a découvert un fortin inoffen- sif, datant de la construction du canal des Etangs, et qu'habite un vieux soldat, garde-canal, appelé Jeannot Besselin. Jeannot, de la plate-forme de sa redoute, a suivi les péripéties de ce lugubre drame ; il voit la frégate serrer la terre et, s' arrêtant, jeter à l'eau sa plus forte chaloupe chargée de monde et qui force de rames pour aborder la plage. Le vieux soldat a deviné d'un coup d'oeil les intentions de l'ennemi ; il jette à la hâte dans sa barque les quelques bardes qu'il possède, et, traversant le canal, se porte sur la berge du sud, dont l'épaulement lui sert d'abri ; là Jeannot allonge sa vieille carabine, et immobile, le doigt sur la dé- tente, il attend.... Les Anglais ont abordé et s'élancent ; mais ils reculent de surprise : l'étang leur barre le chemin. / 'i^ J ^Jfu,u^uei Zi>i.îfe*m àcTilj ifsnlf La dermére balle de Jeannol. — 301 — Pendant qu'ils hésitent, une détonation se fait en- tendre ; un des leurs, renversé sur le dos, agite dans le vide ses bras agonisants. Un cri de vengeance s'élève, et tous courent à leur canot. Jeannot rechargeait sa carabine, calme et sou- riant. Le canot a franchi la plage, on le jette à l'étang ; et, montrant le poing à la berge, les habits rouges tirent quelques coups de feu dans sa direction. Mais Jeannot a visé de nouveau, et un rameur tombe roide mort sur ses avirons. Le vieux soldat saute dans sa barque, traverse le canal, passe sous le petit ponceau de l'étang d'Imgril et s'abrite derrière l'épaulement de la digue du nord. Sa carabine est rechargée; et, quand la chaloupe ennemie paraît dans le canal, sous l'arche élevée du pont du poste des Aresquiés, un grand cri part de la barque, où la balle de Jeannot vient de faire un nouveau vide. Pour lui, rapide, il saute dans sa nacelle et gagne à force de rames la pointe du bois des Aresquiés. Mais les Anglais, ayant abordé la berge du nord, courent au lieu d'où est partie la dernière détonation et voient le fugitif, qui n'a point encore atteint le rivage opposé ; une grêle de balles frappe son canot et fait jaillir l'eau tout autour de lui. Jeannot, impas- sible sous cette pluie de projectiles, saute sain et sauf sur la pointe de terre et disparaît dans les chênes verts du rivage. 38 — 302 - A l'abri, notre héros, silencieux, recharge pour la quatrième fois l'arme dont il vient de faire si vail- lant usage contre les ennemis de la patrie. Mais son front, déjà sombre, s'assombrit encore. L'Anglais sort de sa barque un baril et le roule pré- cipitamment vers la redoute. A la hâte que mettent ces gens à exécuter les ordres reçus, aux regards anxieux qu'ils jettent dans la direction de Fron- tignan, où se sont réfugiés les équipages du Lion et du Robuste, on devine qu'ils craignent une surprise, et qu'il leur tarde de regagner leur bord. Au bout de quelques instants tous sortent du fortin et rentrent dans la chaloupe, que le quartier-maître retient seul à la berge avec la pointe de son croc. A ce moment sort de la redoute un bas-officier, qui jette à ses pieds un bout de mèche allumée et s'élance dans la chaloupe : un nuage de fumée s'éleva soudain du dernier buisson de chênes verts de la pointe du bois, et le quartier-maître anglais recevait, expirant dans ses bras, l'officier, qu'une balle venait de tra- verser de part en part. — Et de quatre ! exclama au loin une voix sonore. Arriver à la plage, faire sauter la digue de sable à leur chaloupe, la remettre à flot à la mer et nager avec désespoir vers la frégate, fut pour les Anglais l'affaire de quelques instants^ comme si le voisinage de la terre eût renfermé pour eux quelque terrible menace...... Ils allaient aborder le navire quand une sourde — 303 — commotion fit rider la face des eaux et ployer les chênes verts sous son souffle véhément. Les mu- railles de la redoute, lancées à cent mètres on l'air, retombaient sous forme d'une pluie de pierre. Un homme jaillit soudain du rivage d'Aresquiés, agi- tant sa carabine et montrant le poing à l'Anglais. Du revers de sa rude main, il essuya une larme ; puis, montant dans sa barque, il hurla de toute la force de ses vigoureux poumons : Vive l'Empereur ! Son cri roula longtemps sonore sur les ondes apai- sées, puis s'éteignit : la solitude et le silence avaient seuls répondu. A quelques jours de là, une baraque proprette, bâtie des débris écroulés, s'appuyait au pan de mu- raille ouest de la redoute ruinée. Un vieux soldat fumait sur le seuil, jetant à la mer, que sillonnaient les voiles anglaises, un regard de mélancolique défi. Fidèle à sa consigne, Jeannot Besselin, que vous avez reconnu, continua de vivre au milieu des ruines de sa chère redoute jusqu'au jour où la mort rendit visite au vieillard. L'assistance de tous lui adoucissait les derniers jours d'une existence consacrée au pays, et le sou- venir du peuple a donné son nom à la redoute en ruines et au canal qui en baigne le pied : redoute de Jeannot, canal de Jeannot. Modeste nom d'un modeste héros , puisse ton sou- venir éveiller encore dans nos âmes attiédies assez de patriotisme pour que tu sois conservé glorieux ! 304 - Nous n'avons jamais remarqué que la palus fût plus malsaine ici que partout ailleurs, et nous avons toujours vu les plaines basses et humides engendrer les fièvres paludéennes. Nous pouvons citer à l'appui de notre dire les vastes prairies naturelles qui, arrosées par la Nièvre, s'étendent de Champlemy jusqu'à Ne vers. De quinze à vingt mille bœufs y paissent en liberté les im- menses embouches j jusqu'à ce que, gras à point, le rail les emporte à Paris ou ailleurs. Nous affirmons que presque tous les gardiens d'embouches sont at- teints des fièvres paludéennes, ainsi que les meuniers et les usiniers qui ont installé leurs industries sur les bords de notre cours d'eau natal. Et pourtant la Nièvre ne présente pas, à coup sûr, les trois causes pestilentielles réunies dans une for- mule savante, et relatées dans un rapport au préfet de l'Hérault. Aussi aucun ingénieur n'a-t-il songé à tarir, à Champlemy, la source de la Nièvre, ni à cul- tiver la vigne et le blé dans son lit et sur ses bords desséchés et assainis, sous le prétexte que les habi- tants riverains avaient les fièvres. Chez nous le meunier de F étang du bois, Vusinier de Guèrigny, le toucheux d'bœufs des embouches, remercient la Providence de leur avoir donné un cours d'eau qui travaille pour leur bien-être et les enrichit. Et, comme ils ont cette conviction que le — 305 - voisinage des eaux, quelles qu'elles soient, rafraîchit Tatmosplière, provoque de brusques variations de température, engendre et attire les brouillards, etc., etc., toutes choses fébrifères au premier chef ; dans cette conviction, nos braves gens vaquent à leurs affaires sans se soucier de muter les vallées en montagnes, ce dont ils seraient les premiers punis. Puis, quand les fièvres leur rendent visite, ils pren- nent de la quinine, et tout est dit ! Dans l'Hérault, les choses se passent autrement : sous prétexte de fièvres paludéennes, on a décrété l'extermination des palus et des étangs. Lutter contre une utopie présentée sous des formes savantes et administratives eût été folle présomption ; il fallait laisser l'expérience se produire et anéantir par son insuccès des espérances trop hâtivement données comme faits accomplis. C'est le parti que nous avons été forcé de subir. Aujourd'hui cette épreuve douloureuse a eu lieu, et, sur les plans et les projets de M. l'Ingénieur ordinaire, approuvés par M. l'Ingénieur en chef, un essai en grand a été fait dans la palus de Vie. Ces Messieurs ont adopté et fait adopter à l'Etat un système d'inondation par les eaux douces de la Robine de Vie, élevées de niveau par un barrage, et correspondant à un vaste système de drains et de canaux collecteurs, dont une machine à épuisement aspire à pleins poumons le contenu et le rejette en arrière, entre les hautes berges d'un conduit exuteur - 306 - qui descend à Front ignan, à travers la palus de la Grand' Maire, ou à l'étang de Vie, par le cours de la Robine, si l'on abaisse les vannes du barrage de ce ruisseau. M. l'Ingénieur appelle cette opération lessiver les terres. Le marais de Vie, on le voit, sur le profil donné par M. l'Ingénieur en chef à la fin de son ouvrage, a jusqu'à 0"'3P et O^SS*^ au-dessous du niveau de la mer, dont il n'est séparé que par le coteau des Ares- quiés et l'étang d'Imgril. Un homme hlessè de la fantaisie, comme disaient les Etats, de dessécher cette lagune, après avoir, comme ces Messieurs, tenu compte du volume des eaux pluviales et de celui des sources qui naissent à chaque pas en ce lieu, se serait demandé pourquoi les terrains y sont salés, circonstance qu'on ne peut imputer aux eaux du ciel? Cet homme, amené à chercher la cause de la sa- lure de nos marais, aurait remarqué la structure tuhulaire, pour ainsi dire, particulière au rocher cal- caire qui forme le coteau des Aresquiés ; un indice eût traversé son esprit observateur, et il aurait appris des bourgeois de Frontignan eux-mêmes que, par les hautes mers qui régnent l'hiver, l'eau saumàtre se trouve installée dans leurs magasins aux rez-de- chaussée, sans avoir, pour y entrer, forcé portes ni fenêtres. Ce fait une fois acquis, l'homme dont nous parlons — 307 — en aurait conclu que , le niveau de la mer s'élevant outre mesure dans les tempêtes , l'eau faisait siphon dans chacun des conduits naturels de ce calcaire criblé de trous ; y refoulait, par la puissance irrésis- tible de son énorme masse, les eaux des sources et des robines, et venait, souveraine maîtresse, prendre ses ébats au soleil, après un trajet souterrain, qui ne s'arrêtait que quand la colonie avait atteint le niveau vainqueur de la métropole, pour ensuite, le courroux ne pouvant être éternel, reprendre le même chemin; mais cette fois en onde fugitive, honteuse de ses écarts. Cet homme, convaincu que les eaux salées de la mer et des étangs s'emparent à chaque hiver des basses terres, se fût bien gardé de les dessaler l'été, avant d'avoir bouché tous les trous de la couche cal- caire souterraine, ce qui eût présenté quelques diffi- cultés, pensons-nous, au plus fort ingénieur hydrau- licien. Notre homme donc, dans ces conditions, eût renoncé au dessalement comme chose chimérique, œuvre de Danaïde; et les drains, si admirablement utiles ailleurs, il en eût fait l'économie, les réservant pour d'autres lieux. Si cependant, tenaillé par l'idée fixe de faire pous- ser le blé, la luzerne, la vigne, là où le râle et la sarcelle prennent leurs ébats, notre homme eût voulu dompter le marais; au lieu de lutter contre une force incommensurable, le niveau d'une masse d'eau comme la mer prenant son équilibre, il se fût retourné vers — 308 — la montagne, et, son budget s'élevant au chiffre rond que nous dirons plus tard, il l'eût prise à bras le corps et, d'un puissant effort, il l'eût jetée à l'abîme, humiliant ainsi l'orgueilleuse puissance du niveau d'eau, obligé de supporter le poids de son remblai vainqueur. L'idée, jpour être simple, nous paraît à vrai dire avoir fait sa route, car nous voyons depuis quelque temps les terres rouges de la montagne s'étendre et s'entasser sur la surface stérile, hélas ! et pourtant couverte d'écus, que MM. les Ingénieurs veulent des- saler, dessécher, etc., etc. Jetez-en beaucoup. Mes- sieurs, beaucoup de cette bonne terre rouge; jetez-en jusqu'au-dessus du niveau des hautes mers : le succès final est à ce prix ! Cela ne nous rendra pas notre argent perdu ! mais enfin vous aurez enterré les miasmes , et il sera dé- fendu d'avoir les fièvres chez nous ! Le journal le Messager dit Midi nous apporte, bien innocemment, et pour la seconde fois dans cet écrit, le concours de sa précieuse collaboration. Il s'agit, on l'a deviné déjà peut-être, du remar- quable rapport présenté par M. Henri Doniol, cor- respondant de l'Institut, membre du jury au Concours régional dernier, sur le concours de la prime d'hon- neur dans le département de VHéraidt. Nous citons le passage en entier, tant pour l'ho- norable membre du jury qui a constaté si habilement le résultat obtenu, que pom^ M. Argence, l'homme — 309 - persévérant qui, sans autre diplôme, nous le parie- rions, que celui de son bo7i sens et avec des moyens simples comme bonjour^ a su réaliser chez lui ce que nous serions trop heureux de pouvoir espérer chez nous. Nous n'avons l'honneur de connaître ni l'un ni l'autre de ces messieurs ! La parole est au Messager du Midi . numéro du 13 mai 1868. Nous copions : « M. Argence avait malencontreusement {remar- r> quez ce malencontreusement) acheté 13 hectares » dans la plaine marécageuse de Villeneuve-lez- » Béziers. C'est un sol argileux , inonde, sans pente, r> OÙ le niveau de la mer empêche l'assèchement. (La •n pente est de uk centimètre pour mille mètres.) r> M. Argence a perdu 1700 f. par an, pendant dix » ans, à cultiver la luzerne et les céréales. La har- y> diesse lui est venue de planter en vigne, et_, en dé- » pit des préjugés, que sanctionnait le nom local de » Malvinède, en dépit des pronostics, il s'est assuré » ce que toute propriété doit avoir pour ne pas être y> la plus absurde des charges : nous voulons dire des » produits et des bénéfices. « Le secret est dans F entérite et les soins. Il n'y » a pas de terres interdites à l'activité de l'homme; y> il n'y a qu'une question d'intelligence et de moyens. 59 - 310 — r> Les tènements que le passé a crus les plus im- r> propres deviennent successivement les plus remplis r> de fruits. Seulement, à toute date, l'opinion géné- y> raie en est presque toujours au passé à leur égard, y> et c'est ce qui avait lieu pour la Malvinède. « L'humidité , les eaux refluantes j la gelée, une y> production vivace d'herbes palustres, ces fléaux » qui ruinaient M. Argence, ils ont disparu. Il a » suffi (écoutez. Messieurs!), il a suffi d'ouvrir et y> de tenir bien récurés des fossés parallèles, à 50 r> mètres l'un de l'autre, et de les faire confimuniquer r> tous au même collecteur. (C'est, en tout, une lon- " gueur de 3,5U0 mètres de fossés.) L'eau circule, » IL m'en faut pas davantage. C'est un témoignage » de plus en faveur du phénomène de fécondité qui r> se voit dans les marais du centre de la France, w traités de m,ême (à Bourges notamment), et qui a r> procuré des résultats considérables dans la Cam- » pine-Belza. Après cela, cultiver en élevant les » bandes de vignes en ados, faciliter l'écoulement » des eaux d'hiver par de simples rigoles, élever un r> peu la tige des ceps, pour qu'aucun raisin ne touche y à terre, épamprer à temps pour empêcher la pour- » riture, et la production est devenue certaine. Le y> jury a vu les jeunes vignes de la Malvinède char- » gées de raisins. Dans les trois années 1864 à 1867, » elles avaient donné déjà la moyenne de (ÎQ hecto- « litres à l'hectare, et la récolte de 1867 a été de r> 100. M. Argence ne calcule pas à moins de 8 "/o ^^ - 311 - r> taux de produit du capital de 86,000^ fr. engagé y dans son opération. « On ne voit pour lui que des chances d'accroisse- r> ment.y Comme ce mot di accroissement fait un heureux contraste au malencontreusement souligné au début ! Terminons-en avec le succès de M. Argence. « M. Argence a réparti les cépages en trois quarts » d'aramon, un quart de mourastel, brun-fourcat et « mazarne teinturier. Il fume à raison de 5,000 kilos » à l'hectare (20,000 pour quatre ares), principale- >' ment au moyen de compost (FABRIQUE AVEC « LES RÉCUREMENTS DES FOSSÉS. C'EST « UN TERRAGE FÉCOND, QUI A DE PLUS « L'AVANTAGE D'EXHAUSSER LES ADOS),« Impitoyable M, Doniol ! ces derniers mots sont le coup de grâce : l'exhaussement continuel des ados. Il faut cependant que nous citions encore une fois et le Messager du Midi et M. Doniol , car M. Ar- gence parait n'avoir rien eu à dessaler à la Malvi- nède : il s'agit pour le coup de l'heureux lauréat de la prime d'honneur. Le simple gros bon sens est donc encore bon à quelque chose, et nous sommes ravi d'aise en appre- nant, par une note de l'irréfutable rapporteur — irréfutable, puisqu'il s'agit de faits accomplis et con- — 312 — statés — que l'honorable M. Gaston Bazille a assaini et DESSALÉ ses prairies de Saint-Sauveur PAR des FOSSÉS*. Ce fait nous est acquis désormais, sans macliine coûteuse à établir, plus coûteuse à entretenir, sans drains ruineux et inutiles. Le jury a constaté que M. Argence avait desséché, M. Gaston Bazille dessé- ché et dessalé des marais auparavant improductifs. Le moyen employé par ces Messieurs est celui qu'em- ploient depuis des siècles les gens de Frontignan et de Vie : de profonds fossés, qui laissent circuler l'eau et permettent par leurs déblais d'exhausser le sol ; et nous pouvons dire en toute certitude que, si la palus de Vie n'eût pas été propriété communale, elle serait morcelée et cultivée depuis longtemps, et jamais MM. les Ingénieurs n'auraient eu à s'en occuper. Nous n'en voulons pour preuve triomphante que les vignes de Frontignan et de Vie, installées par parcelles au beau milieu de nos palus. La conclusion viendra d'elle-même à l'esprit et aux lèvres du lecteur ; mais, avant de la formuler nous-mème , nous demandons la permission de com- parer les chiffres du rapport de M. Doniol et ceux des divers rapports donnés par M. le Préfet, en séance du Conseil général, à propos des dessalements et des dessèchements qui nous occupent. ' N" du Messager du vendredi 15 mai 1868. — 313 — M. Argence, autant que nous en puissions juger par ce qu'en dit M. Doniol, est propriétaire de la Malvinède depuis quatorze ou seize ans. A dix ans de pertes succède la transformation radicale du sol, et quatre ou six ans d'efforts persistants ont amené le capital engagé de (S5,000 fr. à rendre 8 7o- M. Doniol, qui n'est point cachotier, a soin de nous dire que le secret est dans l'entente et les soins. Ainsi à plus forte raison pour M. Gaston Bazille, qui a remporté la prime d'honneur ; lui qui a dessalé et assaini les marécages par les fossés et les a trans- formés en prairies verdoyantes, mais non comme celles qu'un mirage trompeur faisait voir dans les palus de Vie à un éminent sénateur ; M. Gaston Bazille, qui achète Saint-Sauveur, en 1849, sur le pied de 100,000 francs, avec un revenu habituel de 3,000 francs, et le présente aujourd'hui au jury sur le pied de 400,000 francs et un revenu de 24,735 francs. Affaire d'entente et de soins ! Commencés en 1863, les travaux de dessalement et de dessèchement de la palus de Vie avaient coûté, au 30 juin 1866, 218,000 francs. Deux cent dix-huit mille francs! Restait 7,000 francs des 225,000 fr. {deux cent vingt-cinq mille) alloués par l'Etat. Ce faible reliquat devait être consacré à des essais de culture en automne. {Rapport de M. le Préfet au Conseil général, page 122, année 1867.) Il n'est personne de nous qui n'ait vu les semis de — 314 — ce déplorable marais, où les jalons de niveau pous- sent seuls florissants et multiples, et semblent dire : Ci-gît le blé, ci-gît l'avoine, ci-gisent deux cent vingt-cinq mille francs ! Le tant regrettable M. Giret, ingénieur en chef, qui n'était pour rien dans cette tentative, nous le dit bien clairement pour qui sait lire entre les lignes d'un écrit officiel. Ces dessalements et ces dessèche- ments ne lui sentaient rien de bon. «Les terrains ne sont pas encore tout à fait pro- pres à être mis en culture. Les essais faits dans la partie sud du chemin de fer n'ont pas réussi. Dans la partie nord, on a, d côté de plusieurs insuccès j obtenu quelques résultats qui paraissent satisfaisants. Nous avons en ce moment une parcelle d'avoine assez bien venue, un bel échantillon de garance, un peu de luzerne et quelques pieds de vigne portant leur deuxième feuille. Il y a lieu d'espérer que nous ob- tiendrons de meilleurs résultats l'année prochaine. « (Page 124, Rapport au Conseil général, 1867.) Il faut convenir que le bagage officiellement con- staté n'est pas lourd, et que le jury du Concours régional ne s'en serait point contenté. Aussi la pa- lus n'a-t-elle point concouru, que nous sachions du moins. Aujourd'hui, août 1868, nous voyons bien un peu de luzerne, comme disait défunt M. Giret; mais ce que nous voyons surabondamment, comme il le voyait lui-même, c'est qu'il nous faut espérer que - 315 — Vannée prochaine donnera de meilleurs résultats, et ainsi des autres. Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Quant à présent, les fièvres allant toujours leur petit train, le résultat incontestable est zéro, moins que zéro; et M. Doniol, le clair M. Doniol, en pré- sence de ces deux cent vingt-cinq mille francs jetés à l'eau, le redira tout net : On a doté l'Etat de la plus absurde des charges: nous voulons dire d'une propriété sans produits ni bénéfices. Le dévouement à la chose publique étant un devoir chez tous les fonctionnaires, si infime que soit leur rang hiérarchique, nous avions publié, il y a deux ans, une petite brochure sur les abus qui se commet- taient dans les garigues du canton de Frontignan, sous le couvert des droits de lignerage et de chasse (brochure qui nous valut bien des haines pour une ou deux hautes approbations officielles)*. Nous avions fait notre devoir. Loin de nous la suffisance de croire que notre modeste travail ait été pour quelque chose dans les résolutions de l'adminis- tration du pays ; cependant nous avons la satisfaction de voir que nous avons été en communion d'idées avec elle, puisque récemment, dans un conflit entre ' De l'Exercice et de l'Abus des droits de lignerage et de chasse, par A. Munier. — Chez Goulet, libraire éditeur, à Montpellier. — 316 - la commune de Poussan et la Compagnie du Midi, l'administration a décidé que le droit de lignerage n'avait plus de raison d'être, et qu'une indemnité, si minime qu'elle fût, suffisait à payer le préjudice causé par sa violation, si toutefois préjudice il y avait. Or cette sanction formelle de la conclusion de notre brochure nous amène, ainsi que nous nous y sommes engagé, page 51, à traiter en quelques mots la question du défrichement des parties cultivables de nos garigues et du reboisement du reste, c'est-à- dire des sommets. La Providence fera sans doute tomber ces lignes sous les yeux de quelque ingénieur ami des moyens simples j qui voudra bien se chai'ger de patronner et faire exécuter ce que nous tenons pour réalisable, ce que font à chaque changement de d}Tiastie nos paysans, et ce qui les porte, plus qu'on ne le croit dans les conseils des eaux et forêts, à désirer les révolutions. Il y a quarante ans, le maire d'une commune voi- sine sollicitait chaudement auprès du préfet d'alors le désistement de l'administration forestière, qui re- tient en ses mains, comme forêts réservées, les misé- rables bouquets de chênes verts que l'on voit grimper sur la croupe de nos montagnes. On ne saurait trop battre en brèche ces préten- tions, véritablement inouïes en l'espèce, d'une admi- nistration qui s'obstine à traiter sérieusement de PromeRâde adminislralive / fûrèis re'sirpee,s - bcnù tù l'élxnà de Thoii . I - 317 — forêts ces broussailles et à soustraire leur sol si fertile à l'industrie et à l'activité des habitants. Nous savons quelles tins de non-recevoir l'admi- nistration des eaux et forêts oppose à de si légitimes désirs, et nous savons aussi le cas qu'en fait M. F. Vallès, ingénieur en chef des ponts et chaussées, dans sa lumineuse brochure sur V Aliénation des fo- rêts, à laquelle nous renvoyons le lecteur *. Un maire persévérant avait donc amené son préfet à lui promettre de rendre visite aux forêts réservées de sa commune, afin de juger de visu de l'état de la question. Au jour dit, le premier magistrat du département et le premier magistrat de la commune se rendent au pied de la montagne et escaladent ses premières pentes. Le maire fait observer au préfet émerveillé comme les grappes de raisin se gonflent vermeilles et pleines de richesses dans ce sol rocailleux, au milieu de ces terres ferrugineuses , dont le rouge ardent semble passer aux veines de la vigne et venir empourprer son fruit. On monte ; les broussailles rampantes s'attachent au pantalon du préfet, qu'elles lacèrent avec autant ' De VAliénalion des forîis au point de vue gouvernemental, financier, climatologique et hydrologique, par M. F. Vallès, ingé- nieur en chef des ponts et chaussées. — Paris, Dounod, éditeur, 1865. 40 ~ 318 — de sans-gêne que les brayes du premier venu. Le digne magistrat, que cette familiarité agreste fait sourire, trouve l'ascension rapide et passe son foulard sur ses tempes baignées de sueur. Le soleil darde sur nos promeneurs ses plus chauds rayons ! . . . L'ascension se poursuit et devient plus pénible ; et le préfet se dit : Bientôt nous arriverons à la forêt, et là du moins nous aurons un peu d'ombre ; nous trouverons à coup sûr une de ces fraîches sources que les Eaux et i^or^^^s font jaillir à chaque ligne des rapports qu'elles m'adressent sur la question que je viens étudier. Et, ce pensant, le bon préfet se délec- tait. Le maire, de son côté, ne tarit point de discourir. Sa conversation, habilement détournée du but, saute du coq à l'àne, faisant remarquer à son chef immé- diat tantôt une échappée de vue majestueuse sur la mer ou l'étang, tantôt une simple fleurette qui a trouvé moyen de jeter sa vive corolle sous ses pas administratifs. Le préfet, qui sue sang et eau, suit d'une oreille distraite les belles paroles de son subordonné. Mais les broussailles succèdent aux broussailles, les chênes rabougris aux chênes rabougris, et l'on va toucher la crête , oii des rochers à pic, absolument stériles, se dressent soudain. A cette vue, inquiet , brusque, en nage, le préfet se retourne vivement. — :n9 — — Trêve de discours, mon cher Maire : où donc est votre forêt? — Depuis deux heures nous la traversons en gra- vissant, Monsieur le Préfet, répond humblement l'administrateur habile, qui avait prémédité sa ruse. Le premier magistrat du département promena quelques instants un œil étonné sur les pousses chè- tives qui se tordaient tristement étagées à ses pieds, puis se mit à sourire. — L'administration forestière a de l'aplomb, fit- il ! Et il redescendit. Malgré ses efforts, ce mot est depuis quarante ans resté le dernier mot de la question. Quel ingénieur lui fera faire un pas? et, puisque l'on tient à donner des terres à l'agriculture, ce qui est louable , quel ingénieur sera assez irrésistible de bon sens , de raison et de logique, pour persuader à l'Etat de laisser en paix les vases de nos étangs, les herbages de nos marais, et donner à l'agriculture les parties cultivables de nos coteaux, où la vigne vient si bien , quand une révolution permet à nos paysans d'enlever un lopin de terre au droit de Hgnerage ou à l'administration des eaux et forêts ? 320 - A Son Excellence Monsieur le Ministre de l'agri- culture et des travaux publics. Excellence , A la fin de ce volume, bien lourd pour des épaules aussi peu habiles que les nôtres à porter le fardeau de la discussion des affaires publiques, nous éprouvons le besoin de formuler auprès de votre haute raison quatre propositions que, dans l'intérêt de nos pays , il importe de voir prendre en considération dans les conseils de Votre Excellence. Ce sera la substance succincte de notre labeur ! 1" Autoriser M. l'Ingénieur en chef, ou tout autre ingénieur, à ouvrir le plus de graus possible pour mettre la mer en contact permanent avec les étangs. 2" Le besoin de la mise en culture des étangs étant admis , ce que nous repoussons , interdire formelle- ment à M. l'Ingénieur en chef, ou à tout autre ingé- nieur, de livrer à la culture, ou plutôt d'essayer de livrer à la culture, n'importe quelle parcelle d'étang par un autre procédé que le comblement. 3° Engager M. l'Ingénieur ordinaire à employer ce seul moyen, et en grand, pour la palus de Vie. 4° Tourner les lumières et l'activité bien connues de — 321 — MM. les Ingénieurs vers le défrichement des parties cultivables de nos garigues, le reboisement de leurs sommets, surtout vers le moyen de les enlever à l'administration des eaux et forêts, qui les retient manifestement contre le sens commun. ( Une enquête sur ce point , en dehors de F ad- ministration des eaux et forêts, éclairera Votre Excellence ). En adoptant ces conclusions. Votre Excellence, Monsieur le Ministre , pourra tenir assuré qu'elle a fait bonne justice et servi les véritables intérêts des populations de l'Hérault riveraines de la mer, des étangs et des marais. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, les respec- tueux hommages de celui qui, venant de faire acte de civisme , ose se dire de Votre Excellence le très- humble et très-dévoué serviteur. A. MUNIER, Deuxième suppléant de la justice de paix du canton de Frontignan (Hérault). POSTFACE Cet ouvrage a pris naissance aux lieux mêmes où se sont passées les scènes qu'il s'est eiforcè de dé- crire; et, si quelque chose de bon s'y trouve contenu, le mérite en revient bien plus aux circonstances locales qui ont environné l'écrivain qu'à l'écrivain lui-même. Comment, en effet, rester froid quand on habite un pays où tant de documents précieux, comme les ro- seaux de la fable, demandent à vous livrer leur secret ; où vous ne pouvez faire un pas sans coudoyer les plus grands noms et voir sortir glorieux des pou- dreuses archives le souvenir d'un passé perdu ? L'homme du Nord, que dans votre pays la diffé- rence des coutumes, du parler et du faire, étonne, a cherché, liant connaissance avec les pères, à con- naître les enfants, abdiquant, par courtoisie pour les vôtres, les modes de parler et d'agir qu'il a connus en d'autres lieux dès le berceau ! Quelque jugement que l'on porte sur lui, ce livre est issu d'un tel sentiment, que l'auteur a cru, en — 324 - étudiant l'histoire de sa patrie adoptive, rendre ser- vice à tous et resserrer des liens sympathiques en imposant silence aux méchants, dont aucun village, si petit qu'il soit, n'est jamais, hélas! complètement dépourvu. Il s'est efforcé, dans le cours de cet écrit, de rester en dehors des passions politiques que la discussion des faits eût pu soulever; et même, dans la contro- verse relative au Mémoire sur l'amélioration du lit- toral, l'auteur a conscience d'avoir conservé le respect dû aux personnalités (d'ailleurs hors de cause) et le scrupule du soin de la vérité, unis à la tâche de dé- fendre vos intérêts menacés. Quant à la forme et à la disposition du livre, il a paru préférable d'y placer en tête les principaux do- cuments, qui en sont comme la charpente supportant l'édifice entier. L'auteur a pensé, de lasorte, obliger le lecteur à connaître les autorités et les faits principaux, espérant le trouver ensuite plus facile à prendre goût aux détails que la seconde partie renferme. Il a mêlé à l'histoire et à la discussion la descrip- tion des événements familiers qui se passent journel- lement à la plage, aux étangs et à la palus, s'effor- çant ainsi d'égayer un écrit que l'aridité des faits eût rendu fatigant, en ajoutant à la narration elle- même des détails de moeurs et de coutumes qui ne lui ont point semblé déplacés dans un essai historique sur les marais de Frontignan. Puis, désireux d'atteindre, dans la modeste me- — 325 — sure qui lui est donnée par la Providence, le but pro- posé par Horace : Omne lulit punctum qni miscuit utile dulci ! Celui-là enlève tout poinct Qui, le doux, à l'utile joinct. il s'est souvenu que lui aussi avait été peintre , et il a crayonné sur place les scènes les plus attrayantes de son livre. Enfin, ces divers soins remplis, l'auteur, aussi conscient de sa propre faiblesse que du labeur sincère et de l'amour du bien qu'il a mis à édifier son œuvre, l'auteur a livré ce premier volume à la publicité. Valeat 1 TABLE DES MATIERES Dédicace m A NOS CONCITOYENS V Introduction • . . vu PREMIÈRE PARTIE Plage, Etangs, Marais 9 Analyse succincte des documents produits 11 N' 1 (1200) 15 N* 2 18 Traduction 20 N» 3 • 22 Traduction 25 N' 4 30 Traduction • 34 — 328 — N» 5 39-45 Traduction 41-47 N° 6 50 Traduction 62 N" T.. ... 76 N» 8 81 N" 9 85 N" 10 99 N° 11 105 No 12 110 No 13 115 No 14 163 DEUXIÈME PARTIE Les Plage?. — Ré.sumé hi.'^torique 169 Fondation de Forum Domitii 174 Création de la Cour royale de Frontignan (lettres paten- tes de 1274) 1 77 Discussion du mémoire sur VAmrlioration du littoral. . . 182 Que la plage a été et est encore cultivée ; — Que les sables n'y sont point mouvants 186-190 Etude des graus 191 Délibération du 8 juillet 1642. relative à l'ouverture d'un grau 193 Liste officielle des naissances et des décès à Frontignan, de 1790 à 1868, en regard les années oii le grau a été ouvert ou fermé 198 Contradiction 203 Poste de canards au canal de Pierres 205 Chasse à la cimbelle 207 Le Cettois flamant rose 210 - 329 — TROISIÈME PARTIE Les Étangs. — Résumé historique 215 Convention de 1342 sur la pèche à la brugine, entre la communauté de Frontignan et le chapitre de Ma- guelone 221 Les routiers. — Séguin de Badefol à Frontignan 525 Construction ilu mur d'enceinte 229 Importance du port de Frontignan auXVII* siècle 230 Visite du cardinal de Richelieu 232 Délibération sur le costume des consuls 2.^7 Un projet de dessèchement en 1644. — Le canal de Brun et les Etats de Languedoc 244 Nouvelle discussion du mémoire sur V Amélioration du liUoral 250 Causes actives d'exhaussement du fond des étangs ina- perçues par l'auteur 251 Les marais et la santé puhUque 254 La chasse d'eau 267 Le bouïs id. La macreuse 269 QUATRIÈME PARTIE Les Marais. — Description sommaire 283 L'affût du canard 284 La tortue luth : sa description par Rondelet 286 La côte de baleine de l'égHse de Frontignan 291 Cette , colonie de Frontignan 292 — 330 — Les guerres de religion ; les Anglais à Cette 296 Jeannot Besselin et les Anglais en 1812 300 Insalubrité des marais ; discussion de la question.... 304 Le défrichement des garigues 315 Une promenade administrative 316 A Son Excellence M. le Ministre de l'agriculture et des travaux publics 320 Postface 323 ERRATA Page 218, ligne 24. — Au lieu de: dans toutes les circonstances, LISEZ : dans les circonstances . Page 220, ligne l^e. — Au lieu de : Sancta, lisez : Santa. FIN DE LA TABLE DES MATIERES. )Z^ ^fé MONTPELLIER, IMPRIMERIE CENTRALE DU MIDI ( Ricateau, Hamelin et C. ) A 000 090 864